Tout avait bien commencé, avec cette envie de démarrer une nouvelle vie. Cette envie de tout changer. Barcelone pour Miami. L’Europe pour l’Amérique où ce vieux rêve doit traîner encore, prometteur, accessible, quelque part. Diego et Elena ont des étoiles dans les yeux et ils y croient, à ce vieux rêve. Mais à l’aéroport de New York, correspondance Miami, la police des frontières les interpelle. Puis les isole, puis les interroge. Pourtant tout est en règle, les passeports, les visas, la paperasse, alors c’est quoi le problème ? Y’en a-t-il même un ? Peut-être parce que Diego est un Vénézuélien immigré en Espagne, où il a rencontré Elena, et les immigrés aux US, on n’aime pas ? Peut-être parce qu’il cache quelque chose ? Peut-être parce qu’Elena, elle aussi, ne dit pas tout, ou n’ose pas dire ?
Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vásquez, s’inspirant de leur propre expérience (et de celle de leurs proches) lors de leurs séjours aux États-Unis, ont mis en scène une sorte de thriller psychologique épuré à l’extrême où la question migratoire (le film se déroule au moment du mandat de Trump, alors obnubilé par l’idée d’ériger un mur à la frontière du Mexique) va lentement dévier vers le couple formé par Diego et Elena (et leur disparité de nationalité). Car au-delà d’un regard critique posé sur les politiques d’immigration (on parle ici de l’Amérique, mais on pourrait étendre le propos à beaucoup d’autres pays), le film interroge aussi la notion de l’autre : de l’étranger bien sûr, cet étranger forcément différent, forcément suspect, mais également (surtout) de cet autre qui partage notre vie, que l’on côtoie chaque jour et que l’on ne connaît, en vérité, que partiellement. Cet autre, intime, avec ses zones d’ombre, ses secrets et ses mensonges.
Dès lors, il n’était pas question pour Rojas et Vásquez d’inventer de fausses pistes, de twists inutiles, de privilégier une mise en scène ostentatoire qui, soudain, détourneraient l’attention du spectateur. Les extrairaient du récit. Les soustrairaient à cette impression d’absurdité et à la violence des questions posées (légitimement, habilement, abusivement ?) au nom de la "sécurité intérieure". À cet instant suspendu, stressant, inquiétant, où des vies peuvent basculer sur simple décision (et humeur) de ceux postés face à vous et dont l’empathie, par obligation, par devoir, se doit d’être un facteur totalement négligeable.
Mais Border line souffre justement de cette sobriété revendiquée, quasi de ce manque d’ambitions et en particulier de tension (et ce malgré la situation vécue par Diego et Elena et nos éventuels doutes vis-à-vis d’eux venant rebattre les cartes de notre perception des faits), en ne proposant au final qu’un court (à peine 1h20) huis clos en temps réel qui ne dépassera que rarement son statut d’exercice de style. Exercice de style peinant à nous embarquer dans une vraie spirale paranoïaque et kafkaïenne que promettait pourtant le sujet. "Il n’y a pas de rêve américain, il y a un cauchemar", a expliqué Rojas. Cauchemar dont, en réalité, nous ne verrons qu’une trop anecdotique illustration.