Grande série malade et paranoïaque, 24, en plus d’offrir un spectacle intense, sonde les rouages secrets d’une Amérique traumatisée par la peur de l’autre. Le point fort de 24 est évidemment son concept formel, dispositif diabolique qui découpe chaque saison en une journée de 24 heures (un épisode par heure). L’efficacité indéniable du real time procure une sensation d'adrénaline constante avec des montées de suspens souvent infernales. Mais il a aussi ses limites, et parvenir à conserver une tension maximale pendant 24 épisodes n'est pas toujours probant ; c'est pourquoi les intrigues souffrent parfois d'invraisemblances, d'histoires périphériques ennuyeuses et de situations rocambolesques insipides.
Souvent taxée de réactionnaire, 24 dénonce plutôt un système d’État ultra-sécuritaire prêt à tout pour assurer et préserver les bases d’une défense intérieure toujours menacée. C’est justement ces différentes menaces qui mettent sur la brèche une structure gouvernementale type (elle-même le plus souvent gangrenée de l’intérieur) en remettant en cause ses moyens et ses méthodes d’action par rapport à un code déontologique ou quelconques valeurs morales (tortures, chantages, meurtres, sacrifices arbitraires). La série ne cautionne pas la torture, largement prisée par tous les protagonistes, elle accuse justement un mécanisme vain, réversible et inadéquat (les "bons" l’utilisent autant que les "méchants"), tout en y exposant l'image terrifiante d’une autorité d’État brutale et agressive soumise aux besoins de son administration.
Jack Bauer, l’agent increvable de 24, fait partie de cette nouvelle race d’anti-héros nihiliste pour qui l’humanité est sèchement reléguée au second plan dès qu'il s’agit de prendre les armes. Foncièrement douteux, patriote aveugle et fanatique, Bauer, aussi extrémiste que les ennemis d’État qu’il pourchasse, arpente un univers de fous où la psychose et la méfiance ont fait évoluer les mentalités et les relations sociales vers des instincts de crainte et de suspicion permanentes. Dans un pays comme l’Amérique, dramatiquement replié sur lui-même depuis le 11 septembre, les supposés complots terroristes ont enfermés la population et ses institutions dans une logique répressive à tout individu suspect (et surtout basané). La malice de 24 est de sans cesse détourner la linéarité et le schématisme d’un scénario bien rodé où les crapules s’avèrent finalement plus proches de l’américain vénal, tout-puissant, que le musulman belliqueux et sournois.