Cobra, Negro et Mazinga sont trois CRS italiens, trois "frères" qui, entre amitié virile, adrénaline de la mêlée, ivresse des coups et des insultes (comme une drogue, comme un manque), vivent leur quotidien du mieux qu’ils peuvent. A.C.A.B. y va toujours à rebrousse-poil : la subtilité, il s’en fout pas mal. Le film est rentre-dedans et va direct à l’estomac, en plus de chahuter un peu nos quelques certitudes sur le sujet. La démonstration, à défaut d’être complètement originale, est pour le moins efficace : balancer à l’écran les vicissitudes du sale boulot de CRS (des réfugiés à dégager, des manifestants à maîtriser, des tifosi à calmer…). De fait, le scénario n’avait pas franchement besoin d’intrigues parallèles et rebattues qui cherchent à trop donner une certaine "épaisseur" psychologique aux personnages (choix moral, conflits familiaux, problèmes conjugaux ou judiciaires). L’aspect quasi documentaire du film se suffisait à lui-même sans vouloir se confronter, maladroitement, aux démons intérieurs de ces hommes.
Si on peut penser à un instant que les CRS sont ici glorifiés ou honorés, il n’en est rien : salauds ordinaires, pères de famille impuissants et traités comme de la merde, eux aussi s’abandonnent à une violence facile (coup de poing à son ex-femme, expéditions punitives pareilles aux ratonnades des néo-fachos contre les immigrés roumains) ou s’oublient dans la déviance et l’incurie, laissés à la fin à un sort incertain qui semble résumer, voire conclure, leur existence chaotique. Le film mentionne également plusieurs faits qui, ces dernières années, ont durablement entaché leur déjà si mauvaise réputation (là comme ailleurs) : l’affaire Gabriele Sandri ou les émeutes à Gênes lors du G8 en 2001, d’ailleurs plusieurs fois évoquées (voir à ce sujet le documentaire édifiant de Francesca Comencini, Carlo Giuliani, ragazzo).
Mais Stefano Sollima observe surtout une Italie moribonde, froide et sale, jamais glamour, engluée socialement, financièrement et politiquement (se relevant comme elle peut de plusieurs années d’obscurantisme berlusconien). Une Italie au racisme exacerbé (vagues d’émigrés à Lampedusa, haine anti-Roms, polémique autour de la noyade de deux fillettes roumaines sur une plage près de Naples…) qui gangrène toutes les couches d’une société malade (du politique au citoyen lambda). Cercle vicieux d’une inimité qui se nourrit constamment de celle des autres, en conséquence ou dans sa continuité. Le tableau est sombre, la bêtise humaine et l’impasse gigantesque, grande comme le monde
Stefano Sollima sur SEUIL CRITIQUE(S) : Suburra, Sicario - La guerre des cartels, Sans aucun remords, Adagio.