Après l’affreux et désastreux Sweeney Todd, voici donc le non moins affreux et désastreux Alice au pays des merveilles, et qui fait se demander où est passé l’enchanteur déglingué de Beetlejuice, d’Edward aux mains d’argent et de Sleepy Hollow. Burton, grand enfant marginal avec la tête dans les nuages et un pied sur Hollywood Boulevard, a sans cesse conjugué l’ironie la plus noire à une poésie visuelle presque naïve, mais toujours excentrique et cauchemardesque (de celle qui naît des songes les plus fous et les plus effrayants). Ce grand conteur d’imaginaires gothiques croise enfin la route de Lewis Carroll, et c’est bien là une évidence, une inéluctabilité qui n’attendait que son heure.
Que Burton se réapproprie personnellement, de façon convenue et presque exclusivement illustrative, les deux récits de Carroll (Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir) n’est pas l’exact problème du film. C’est davantage son formalisme indigeste et sa surcharge attractive qui l’empêche de fonctionner dans son inventivité et sa relative magie. L’image de synthèse et les retouches numériques, tout en étant assez réussies, aseptisent et sacrifient de beaucoup l’univers insolite et fantasmagorique de Caroll lié à la grande tradition du conte de fées, mais audacieusement assujetti à son inspiration et ses souvenirs. Il y a comme un contresens esthétique entre le rendu virtuel assez écœurant de Burton et les mots, les impressions incarnées de Carroll.
Cette faille dans le traitement de reproduction (des décors comme des protagonistes ou du scénario dégénérant en heroic fantasy platement initiatique) est très rapidement perceptible, transformant le film en une bouillie dissolue dans de la guimauve. Burton nivelle par le bas son expressivité, ses délires et sa mécanique du récit (Disney a-t-il imposé ses conditions ?), et semble ici avoir vendu son âme à quelques diktats commerciaux (le souvenir malheureux de La planète des singes n’est pas loin). De plus, ce qui pouvait tolérer un soupçon d’impertinence et de fantaisie (Matt Lucas, de la série décapante Little Britain, en est réduit à jouer très gentiment Tweedle Dee et Tweedle Dum, Johnny Deep nous refait son numéro habituel de personnage loufoque, mais sans plus le moindre petit grain de folie…) paraît irrémédiablement asservi au profit d’un spectacle inoffensif et mainstream.
Le rythme est inégal, l’ennui latent, la musique suprêmement envahissante, l’intrigue et la morale sont lénifiantes (faire fi des convenances, vivre sa propre destinée, blablabla...). L’œuvre déborde, se répand en couleurs sirupeuses, et se pare trop souvent d’un mauvais goût prononcé (la danse finale de Deep, ridicule). Avec trois bouts de ficelle et autant de marionnettes cabossées, le magnifique Alice de Jan Svankmajer montre bien l’écart graphique (et idéologique) entre une énorme production de masse, stérile et relativement mercantile, et une œuvre créative, surréaliste, respectueuse avant tout de ses spectateurs et de l’esprit carrollien.
Tim Burton sur SEUIL CRITIQUE(S) : Batman : Le défi, Big eyes.