Palmes d’or légendaires 1/5 - 1967
Avant Zabriskie Point et Profession : reporter, visions extatiques et politiques de l’individu face à la société, de sa fuite existentielle dans un monde contemporain redevenu comme archaïque (et réputés chacun pour leur final légendaire, explosions répétées sur fond de Pink Floyd, plan-séquence mythique à travers les barreaux), Antonioni réalisa à Londres (début de son échappée internationale) son film, sans doute, le plus célèbre. Blow up est également l’analyse d’une dérobade, d’un parcours initiatique, celui d’un jeune photographe de mode et observateur d’un réel qui échappe progressivement à son appropriation, à son regard, voire à sa conscience. Thomas n’a pas connaissance de l’illusion, des secrets de la réalité, et s’il n’en meurt pas comme Mark (Zabriskie Point) ou David (Profession : reporter), il finit par l’accepter, par y participer, et c’est peut-être là le sens final du bruit de la balle lors de la partie de tennis imaginaire avec les mimes.
Antonioni a souvent exploré les mécanismes intimes de la dérive, concrète (La nuit, L’éclipse) ou, comme ici, plus ou moins fantasmée, abstraite. Thomas ne participe pas à une orgie dans le désert ou n’endosse pas l’identité d’un autre, il est le spectateur impuissant d’un monde qui s’aliène, se libère (sexuellement), se redimensionne (et pas seulement à travers l’objectif ou les agrandissements photographiques). En résonance de cette "quête", l’en-quête elle-même a fait du film une sorte de thriller sophistiqué, amorcé, et qui surtout n’en est pas réellement un, mais davantage une œuvre esthétique aux multiples interprétations devenue matrice référentielle du cinéma (chez De Palma ou Coppola, entre autres, et dernièrement chez Almodóvar).
Antonioni saisit, dans ses nombreux mouvements, une ville et une époque culturellement signifiantes, questionne les fondements de l’image, les enjeux de la représentation, de la vérité cachée derrière le prisme des actes, des apparences, et de la réalité aussi qui n’existerait que par l’interprétation de chacun, de ce que soi-même en perçoit ou veut bien en percevoir. D’où la tangibilité du mystère exposé (le cadavre dans le parc) : ce mystère a-t-il existé en dehors de l’imagination de Thomas ? Antonioni n’y répond pas, se refuse à la psychologie, tend vers une captation magnifique des faits ouverte à toutes compréhensions et à tous commentaires.