Horizons du cinéma français 3/7 - Drame passionnel
Que cherche Stéphane à se faire convoiter, à se faire aimer d’une femme pour mieux l’éconduire dès que celle-ci se déclare ? Est-ce de l’ignominie, du libertinage, une blessure secrète ? Est-il indifférent aux sentiments ? A-t-il peur des autres, si peu confiance en eux, lui qui s’exprime et s’arrange d’un rien ? Que cache ce visage impassible, figé par l’incommunicabilité ? Ce sont ces mystères du cœur, ces mystères de l’âme, ces inachèvements amoureux et passionnels que Sautet observe, ausculte avec toute la grâce et l’équilibre d’une œuvre délicate, exceptionnellement mature.
Stéphane est une énigme, une peinture opaque que Camille, jeune et brillante violoniste, va tenter de révéler à un éclair d’affection, à un mieux d’exaltation. S’accordant minutieusement aux milieux qu’il dépeint (la lutherie et la musique classique), Un cœur en hiver serait, de fait, comme une partition fragile et élégante sur des élans relationnels saccagés, endoloris, sur l’entrebâillement d’un homme à quelques vérités, à quelques émotions, ou à la vie tout simplement. Quand Maxime, l’ami et partenaire de Stéphane, virevolte avec aisance dans le rapport humain (en société, en amour et dans son travail), Stéphane, au contraire, paraît tout faire pour s’en écarter, y préférant l’ascèse, la rétention, les rapports en pointillés, voire la manipulation perverse (et l’avouant finalement à Camille, séduite sans amour, par jeu).
Face à elle, Stéphane semble bousculer lui-même ses habitudes, ses repères, mais de façon intérieure, totalement imperceptible (un vague malaise lors d’une visite d’appartement). L’interaction discrète, le désordre circonspect créés par ces deux-là, vont mettre à jour les chimères et les failles des uns et des autres, les volontés possibles, les comportements refoulés. Et l’amour finalement, parmi tous ces désastres, demeurera insaisissable, frôlé comme une caresse abrupte, un enjeu se dérobant sans cesse à son expression et dont les fondements voleront soudain en éclats, laissant les corps à terre et les cœurs en mille débris d’argile ; Camille parce qu’elle a désiré Stéphane comme elle l’imaginait, Stéphane parce qu’il a refusé de s’ouvrir, de tendre à la certitude du sentiment.
Jeux de regards, de silences, gestes volontaires ou retenus, inflexions âpres et vibrantes de la voix, tout, dans le jeu de Béart et Auteuil, est admirable, intense. Sautet les filme comme deux lutteurs sans défense, vulnérables, réservés, chacun tentant "d’apprivoiser" l’autre pour des raisons apparemment antagonistes. Leur duel intime et magnifique est une mise à nu de leur être, d’un quelque chose qui tendrait vers la découverte d’une évidence, d’une vérité fervente que l’on pourrait nommer passion.