L’univers télévisuel des séries françaises ressemble à une vieille courtisane décatie dont plus personne n’oserait demander les faveurs ; et si, depuis quelques années déjà, plusieurs projets parviennent à élever le niveau à un semblant de respectabilité (Les invincibles, Les bleus, Hard…), il est courant d’admettre que cet univers est plus que moribond, enferré dans une filiation trop marquée avec son confrère américain et sclérosé par un manque criant d’originalité, de prises de risques et de considération intellectuelle pour les téléspectateurs. La seule (première ?) série à se défaire vraiment de toute cette horreur consensuelle est la bien nommée Clara Sheller ; et même si celle-ci abuse elle aussi des références jusqu’à l’overdose, parfois jusqu’à la transparence (Ally McBeal, Friends, Queer as folk, Sex and the city…), cette série espiègle et badine a su marquer et se démarquer réellement du reste de la mélasse cathodique.
Cette savoureuse chronique colorée, narrant les péripéties comico-sentimentales d’une jeune parisienne et de son meilleur ami gay, s’apprécie dans toute sa légèreté et toute son effronterie. Il est effectivement assez rare, en prime-time, de voir à la télévision tout ce qui peut constituer une somme de "préjugés" encore pleinement ancrée dans les mentalités françaises : des hommes qui s’embrassent à pleine bouche, des répliques cinglantes au langage cru ("Et toi J.P. alors, qu’est-ce qui t’intéresse dans la vie ? - Les grosses bites !"), une célébration du triolisme, du sexe décomplexé, et une héroïne politiquement incorrecte, égoïste, feignante et menteuse (mais craquante et sympathique). L’air de rien, sous ses allures délibérément fashion et frivoles, Clara Sheller remet en question pas mal de conventions de notre société, en tout cas les bouscule avec aplomb et intelligence, les expose sans interdit, sans limite et sans manière.
Le renouveau du casting dans la saison 2, s’il a pu faire craindre quelques perplexités et appréhensions, a été une agréable surprise (avec un Patrick Mille plus qu’inattendu), remettant en jeu et en perspective tous les principes de la première saison. Il y a même à espérer que celui-ci soit une nouvelle fois modifié dans une éventuelle saison 3. Et pourquoi pas Fanny Valette en Clara, Frédéric Testot en J.P. et, pour Gilles, dans la même veine "grand brun ténébreux italien" que François Vincentelli, Valerio Foglia Manzillo ?