Drogué et traîné de force par des amis (qui ne le sont plus) à ce truc insipide que je refuse catégoriquement de comparer à du cinéma, j’exclus toute participation et toute responsabilité à sa vision imposée. Faut dire aussi que j’aurais dû voir le piège venir. Attablés paisiblement à la terrasse d’un sympathique petit restaurant, une amie me murmure soudain à l’oreille : "C’est pas Gaspar Noé là-bas derrière toi qui discute avec Lynch et Winding Refn ?". Ah, quelle crédulité de ma part ! Et quel instant funeste aussi quand, l’œil fébrile et paniqué, je me suis retourné pour faire face à mes trois muses et accomplir enfin mon destin… C’est vrai qu’ensuite, mon verre de Saint-Émilion avait un drôle de goût mais, sur le coup, je n’y avais pas vraiment prêté attention.
Me voilà donc reprenant conscience dans une salle obscure où j’aperçois Mel Gibson en train de fister une pauvre peluche de castor qui, étrangement, ressemblait davantage à ma boulangère qu’à ce satané rongeur. Je dois avouer que, pendant quelques secondes, la rétine floue et encore tout abasourdi par les tranquillisants, j’ai cru assister au remake américain d’Irréversible. Que nenni : c’était bel et bien une espèce de téléfilm du dimanche après-midi (une famille bien proprette sur elle tente de surmonter la dépression du père) à la morale gnangnan assénée en partie lors d’un discours final clichetonneux au possible, genre faut vivre sa vie, faut aller de l’avant malgré tout, "Je t’aime, papa", bla-bla-bla…
C’est du cinéma complètement inoffensif, inintéressant, raplapla, auquel il est impossible de se passionner et qui ne donne aucune envie d’y croire alors que le cinéma fonctionne, justement, sur la croyance d’une émotion ou d’une esthétique particulière. Rien de tel ici : le personnage de Mel Gibson, au jeu sans saveur, n’est pas émouvant une seconde (ni les autres d’ailleurs, sauf peut-être le fils aîné), sans parler d’une musique insupportable et omniprésente (petites notes de piano affligeantes au moment où le fils se réconcilie avec le père), d'une voix off inutile, d’une mise en scène d’écolière appliquée et/ou de grosse fayotte, et d’événements dont on se contrefout royalement tant les enjeux sont mal amenés, mal exploités et tout simplement ennuyeux. Je me dis, naïvement sans doute, que Spike Jonze aurait fait de tout ça un grand film malade, schizophrénique et poétique.
Au moins le scénario a-t-il le mérite d’aller au bout du machin, le castor n’aidant en rien Walter, vraiment malade, qui commettra l’irréparable (ahhh, les joies de la scie sauteuse…), tandis que quelques scènes sont à sauver in extremis de l’infâme mélasse (le fils qui se cogne la tête en secret, un repas d’anniversaire qui dégénère). Une suite est, paraît-il, d’ores et déjà envisagée : Walter a vaincu sa dépression, sauf qu’il a maintenant des problèmes d’érection. Du coup, hop, le voilà qui enfile une peluche de licorne sur son zizi pour tenter de sauver les apparences… Tout cela est-il bien raisonnable ?