À vouloir trop dire et trop montrer, The dark knight aurait gagné à être soit beaucoup plus court, soit beaucoup plus long. Cet entre-deux mouvant rend le film excessivement dense et décousu malgré ses dispositions et ses qualités qui en font une création bancale, mais fascinante. La première demi-heure, sans relief, se complaît dans une intrigue singeant un piètre suspens financier et gadgétisé à la James Bond, mais permet d’introniser officiellement le personnage du Joker (la scène du cambriolage en ouverture, très réussie, n’apportant rien en soi). Le film commence ainsi, en demi-teinte, pour se déchaîner et s’élever ensuite vers des sommets de folie et de noirceur, trébuchant néanmoins lors d’un final laborieux, plombé en partie par une morale conformiste (et lourdement assénée) sur la miséricorde humaine surpassant l’infamie (possible) de chaque individu.
Confiné entre une mise en place faiblarde et un médiocre dénouement, le milieu du film existe par et pour sa flamboyance cauchemardesque, sacralisée par la démence sans limite du Joker, double négatif de Batman dont les agissements (criminels) n’ont de raison d’être qu’en s’opposant à ceux (dévoués et légitimes) du chevalier noir. Le triangle infernal Joker / Dent / Batman constitue l’enjeu essentiel du film, établi sur la relation d’interdépendance qu’entretiennent ces trois figures inextricables, représentations discordantes d’une seule justice et d’une seule humanité où tout demeure interchangeable. Anéantir ou garantir l’espoir, c’est dans cette volonté que la lutte ambiguë du Bien et du Mal prend toute sa dimension pratique (et explosive) : le Joker veut prouver que le chaos est seul maître de ce monde, quand Batman et Dent cherchent, eux, à canaliser toute anarchie absolue.
Heath Ledger, dans la peau du fanatique défiguré et peinturluré, vampirise totalement l’écran, habité, fébrile, émouvant presque, et sa présence y est remarquable jusqu’à son absence. Seul Aaron Eckhart parvient, face à lui, à captiver et à imposer un Harvey Dent charismatique rattrapé par les conséquences de sa croisade anti-pègre. Dommage que Christopher Nolan aspire à trop d’exhaustivité là où un minimum de réserve aurait parfaitement servi le propos et les ténèbres de son film, hanté par une musique parfois inquiétante et des scènes magnifiques dans leur simplicité et leur force visuelle (Dent hurlant sur un sol trempé d’essence, le Joker penché à la vitre d’une voiture ou prêt à écorcher Rachel en lui racontant l’une des éventuelles origines de sa difformité…). The dark knight a des allures majestueuses de blockbuster sentencieux, fatigué et pessimiste, mais s’abîmant dans sa propre ambition et sa propre excessivité.
Christopher Nolan sur SEUIL CRITIQUE(S) : Inception, The dark knight rises, Interstellar, Dunkerque, Tenet, Oppenheimer.