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La dernière piste

Le western désacralisé, ou contemplatif, ou même métaphysique, devenu désormais un genre en soi (de Jeremiah Johnson au complètement raté True grit, en passant par The proposition ou la série Deadwood), nous offre un nouvel exemple d’œuvre en partie réussie parvenant à intégrer les archétypes du Far West (les chariots, les fusils, les grandes étendues…) à une vision moderne, intimiste, de l’homme et de sa fragile condition. En suivant l’errance de trois familles de colons et de leur guide dans les hautes plaines de l’Oregon, en route vers l’Ouest des pionniers et des chercheurs d’or, Kelly Reichardt n’hésite pas à se mesurer à une forme d’ascèse radicale (pas d’exposition, rythme lent, plans dépouillés, aucun décors sinon une nature, comme dans Valhalla rising, primitive et cruelle) pour dire et exprimer la vulnérabilité de nos origines face à l’inconnu, qu’il prenne la forme d’un vaste territoire/purgatoire (plateaux et collines, soleil et chaleur) ou d’une simple rencontre (l’Indien capturé).

Sorte de road movie poussiéreux et hagard aux temps des cow-boys et des Indiens, La dernière piste est en réalité un voyage sans fin dont le décorum spécifique, interchangeable, ne sert qu’à "dématérialiser" les enjeux mis en avant (Gerry par exemple, sur un même thème, se déroulait à notre époque). C’est une traversée dont le but (la recherche d’un chemin puis d’un peu d’eau) est un ailleurs, un artefact scénaristique s’ouvrant à de nombreuses rêveries et autres interprétations. En milieu de parcours, l’Indien fait prisonnier devient une sorte de passeur, de deus ex machina amenant, accompagnant les familles vers la mort (son chant cérémonial, quand William s'écroule de soif et de fatigue, a quelque chose d’une litanie funèbre) ou vers un Éden espéré (l’arbre de vie en plein désert), un Éden promis comme dans la Bible que lit William, inlassablement.

Un totem de pierres aperçu au loin, des dessins étranges gravés sur la roche, seraient les signes d’un seuil vers un autre monde, une autre béance intriguant et égarant le spectateur. Dommage en revanche que La dernière piste soit inégal dans ses envoûtements et dans sa poésie à nu, rude : le film est finalement plus fascinant quand les personnages ne s’arrêtent et ne se parlent pas (même s’il y a peu de dialogues). Les scènes "immobiles" souffrent de la comparaison avec la beauté et la force de celles où il y a "égarement", beauté des lignes d’horizons et des ciels, force des évocations, des sens et de ces mouvements au hasard semblant suivre une impulsion mystique.

Reichardt semble plus inspirée quand elle capte les silences, le bruit des bêtes ou du zinc des timbales, des roues sur la terre aride, quand elle expose des situations au suspens minimal, traversée d’une rivière, roulottes à faire descendre au bas d’un versant, essieu à réparer, montre ces hommes et ces femmes tournant en rond, foulant des paysages immenses telle une prison d’éternité. Sa mise en scène sèche, la belle photographie à la limite du monochrome, les acteurs comme sous hypnose, la musique erratique, œuvrent à ciseler une atmosphère unique et singulière, envoûtante mais parfois trop monotone, à imaginer, à inventer une élégie squelettique n’apportant aucune réponse, aucun discernement, mais convoyant très sûrement jusqu’aux abords d’un abîme inquiétant.


Kelly Reichardt sur SEUIL CRITIQUE(S) : First cow.

La dernière piste
Tag(s) : #Films

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