Existerait-il un précepte philosophique ou existentialiste du genre tibétain, syrien ou communiste, et qui dirait, en substance légère, "Bienheureux ceux qui n’attendent rien" (ça marche aussi dans l’autre sens : "Malheureux ceux qui en attendent trop", remember The dark knight rises) ? Comme par exemple aller voir Des hommes sans loi en traînant les pieds, en manquant de rebrousser chemin, en ayant en mémoire les mauvais échos cannois et en préparant déjà dans sa tête une critique pleine de bile, de saloperies et de mauvaise foi, pour enfin se dire, quand les lumières se rallument, que le film n’est pas si mal que ça et qu’il est même plutôt réjouissant. Sa lapidation à Cannes n’a rien de surprenante ; le film est sympathique, c’est juste qu’il n’avait pas sa place dans un festival de ce genre célébrant davantage Apichatpong Weerasethakul, Cristian Mungiu ou Michael Haneke.
Mis en scène par le réalisateur de La route, écrit par Nick Cave, mis en lumière par Benoît Delhomme et interprété par un casting plus qu’enthousiasmant (Tom Hardy, Shia LaBoeuf, Gary Oldman, Jessica Chastain, Guy Pearce…), Des hommes sans loi est une sorte de travail à l’ancienne (déjà par son sujet, gangsters et prohibition, tiré de l’histoire vraie des frères Bondurant) de facture classique, carrée et bétonnée de partout (rien qui dépasse, rien qui étonne vraiment, encore que le film égrène ici et là quelques jolis plans). Même s’il n’a pas grand-chose à raconter (combat de coqs pour un peu d’alcool) et souffre d’une caractérisation psychologique assez sommaire, le film sait rester engageant, bien rythmé et cohérent ; il acquiert même, parfois, une dimension vaguement fantastique et vaguement mythologique qui sait ménager ses petits effets (les trois frères invincibles, increvables et "immortels", lancés dans une lutte acharnée contre la faucheuse qui aurait pris les traits blafards du terrifiant procureur Charlie Rakes, gominé et cocotté).
On pourra également déceler, dans le couple joué par Hardy et Chastain (sublime), une variante lointaine et contemporaine de La belle et la bête au goût de vieil alambic rouillé. Il y a même un peu d’humour (Hardy et ses grommellements, un régal), de la romance, pas mal de violence aussi, et une fin un peu niaise, voire moralisatrice, mais qui laisse supposer une possible nostalgie d’un temps chaotique maintenant révolu. Une dernière chose : quand apparaît à l’écran une ancienne photo des véritables frères Bondurant (mélange troublant de fouines congénitales et de bouseux cannibales), on se dit que la "magie" d’Hollywood est finalement bien pire qu’une séance Photoshop chez Vogue ou chez Marie Claire.