Dexter cultivait, dès le départ, trop de désirs, trop d’attentes (sujet intrigant, mélange de gore et d’humour noir) et trop d’enjeux (l’après Six feet under pour Michael C. Hall, la consécration pour Showtime avec Sleeper cell, Weeds et Californication). Est-ce pour cela que la série s'est révélée vaguement déceptive, en dessous de ce que l’on pouvait espérer d’elle ? Librement adaptée des romans de Jeff Lindsay, l’intrigue principale s’attelle à nous faire découvrir Dexter Morgan au quotidien, expert scientifique spécialisé dans l’analyse du sang qui, sous ses allures de gentil garçon discret et renfermé, se révèle être un monstre de froideur (presque) dénué de sentiments, sociopathe invincible et serial killer méthodique.
Dexter tue (des méchants), tronçonne du scélérat dans une mise en scène immuable sous l’emprise posthume de son père adoptif. Ce besoin vital remontant à une enfance troublée s’apparente davantage à un fonctionnement interne essentiel à sa physiologie (et à une pathologie complexe) qu’à une quelconque recherche de justice punitive. L’ombre référentielle d’American psycho plane évidemment sur la série, Dexter et le golden boy fou d’Ellis ayant beaucoup en commun, beaucoup plus que le pseudo utilisé par Dexter sur Internet (Patrick Bateman) : récit métadiégétique nous plongeant à l’intérieur de leurs pensées et de leurs névroses, autopsie d’une solitude intime forcée et de fantasmes inavouables qui les tiraillent et les forcent à vivre dans un monde qui ne les comprend pas, détachement du réel, impassibilité, sécheresse, délires mégalomaniaques (la dernière scène de la première saison est savoureuse).
Même le très beau générique d’ouverture renvoie aux premières pages du roman d’Ellis, description détaillée du réveil d’un monstre. Et si, tout comme Bateman, Dexter n’était lui aussi qu’un être maudit, parvenu socialement (une femme, un bon travail, un enfant), mais condamné à vivre ses pulsions dans un secret qui le tourmente (jusqu'à la découverte de sa part d'ombre par Debra, l'obligeant dès lors à partager son funeste rituel) et le contraint à la retenue émotionnelle, à un mensonge existentiel constant ?
Si la série a tellement plu (au moins jusqu'à la saison 4, les suivantes allant de déceptions en déceptions avec, en point d'orgue, un final catastrophique qui a traumatisé la Terre entière), c’est parce qu’elle tombe parfois (souvent) dans les travers rassurants des thrillers mainstreams (coïncidences arrangeantes, raccourcis faciles, linéarité évidente et sans surprise) et impose insidieusement des piques de morale typiquement américaine (aimer ses enfants et sa famille, se marier, justice expéditive...). Alors qu’elle propose un sujet de fond atypique et déroutant dans la droite lignée d’American psycho, la série, formellement réussie (couleurs éclatantes, mise en scène nerveuse, acteurs attachants), aligne plusieurs imperfections narratives et normatives qui n’en font pas une grande œuvre télévisuelle barrée, provocante et subversive, mais plutôt un show grand-guignol aimable et formaté, roublard et sympathique.