Films et scandales 6/6 - 1971
Prenant de grandes libertés stylistiques (euphémisme) avec l’Histoire, Ken Russell raconte à sa manière, toujours aussi provocante, la tragédie des possédées de Loudun (1634), sombre affaire de sorcellerie enchevêtrant exorcismes, Inquisition, vengeance et machinations politiques. Sur la base de ces faits réels qui impliquaient directement le cardinal de Richelieu et autres grandes instances sacrées, Russell dénonce l’intolérance et l’obscurantisme religieux qui, aujourd'hui encore, résonnent d’un fort écho dans toutes les formes de censure et de fanatisme. En 1961, Jerzy Kawalerowicz livra initialement son exégèse de l’événement avec son film Mère Jeanne des Anges centré davantage sur le cas de possession démoniaque des Ursulines, en tout cas interprétation plus austère et plus rigoureuse de ce récit dramatique.
Tout, dans Les diables, est propice à cette exagération si coutumière du cinéma de Russell dont on pourra dire qu'il réalisa ici son chef-d’œuvre : les onirismes, la violence, l’érotisme, l’interprétation (Vanessa Redgrave, littéralement habitée) et les décors (du futur réalisateur Derek Jarman) associant baroque moderne et éléments d’époque. Mais derrière la frénésie de la mise en scène et l'esthétique clinquante, derrière les scènes cruelles (les corps sont malmenés en permanence) et les sacrilèges qui firent (et font toujours) scandale, Russell livre un pamphlet convulsif sur les obscures connivences entre l’Église et le pouvoir, décrites ici comme une gabegie délétère et malsaine préhensile à tous les excès, à toutes les manigances pouvant permettre l’accès à des aspirations d’influence et d’autorité.
Chacun lutte aussi, d’une façon ou d’une autre, contre ses pulsions physiques, démons spirituels ou envies glorieuses, et toutes les frustrations qui en résultent n’amènent, de fait, qu’à un fonctionnement chaotique d’une société dite "civilisée" s’abîmant (s'écroulant même, littéralement) dans la folie obsessive, dans un outrage incessant. Ce ne sont, dès lors, que grimaces et délires, imprécations et hurlements, bacchanales et tortures. Russell ne cherche en aucun cas le raffinement d’une reconstitution historique qu'on dira classique, mais y préfère sans cesse la démence et l’exaltation, presque le mauvais goût, pour exprimer sa vision sulfureuse d’un catholicisme spasmodique et dévoyé, prêt à des pratiques abominables (supplices, bûchers, chantages, extorsions, purifications barbares, tout y passe) pour servir l’expansion autocratique de sa souveraineté.