Présenté en version restaurée au festival de Locarno début août (et racheté par Mubi pour une diffusion en ligne), The fall a droit enfin aux égards et hommages qu’il mérite, et en attendant une prochaine sortie en Blu-ray 4K, même si le film est vraiment à (re)découvrir sur grand écran. D’ailleurs ne le ratez pas puisqu’il sera projeté à L’Étrange Festival au Forum des Images à Paris, samedi 14 septembre à 16h45.
Comme un palindrome merveilleux, The fall s’ouvre et s’achève sur la magnifique 7e Symphonie (opus 92, Allegretto) de Beethoven, entendue entre autres à la fin d’Irréversible. Le générique d'ouverture, tout en ralentis et noir et blanc somptueux, est déjà un choc visuel en soi, un "chaos sans énergie" tel que l’a souhaité Tarsem Singh. The fall, remake d’un film bulgare des années 80 (Yo Ho Ho), peut être considéré comme l’œuvre jumelle et complémentaire de The cell, mais du côté de la lumière, du conte pour enfants (le film commence par "Once upon a time"), The cell explorant davantage les ténèbres du film de serial killer. Mais qu’importe la nature de l’histoire : au cœur des deux films, c’est l’imaginaire roi (celui de l’inconscient et celui du récit que l’on raconte) qui aide à sublimer une réalité douloureuse, brisée littéralement, tandis que les troubles, les événements et les souvenirs y sont identiques, s’y dévoilent et s’y retrouvent en correspondances oniriques.
Tourné pendant 4 ans et dans 24 pays (Inde, Espagne, Argentine, Namibie…), le film mélange Peter Greenaway à La science des rêves, Terry Gilliam à Baraka (la scène de transe des Indiens, celle des derviches tourneurs…), Dalí à Usual suspects (où mille et un détails du présent, des plus infimes aux plus évidents, servent à élaborer instantanément une autre matérialité), tout en parvenant à créer, à imposer un style caractéristique original, et à surpasser ses nombreuses références picturales. Singh possède un sens des couleurs, du cadre et de la composition absolument étourdissant (certaines transitions, d’une scène à une autre, sont remarquables), et sait esquiver l’emphase qu’un tel projet pouvait supposer.
La talentueuse (et regrettée) designer Eiko Ishioka (voir la magnifique vidéo revenant sur l'ensemble de sa carrière artistique) a, une nouvelle fois, réalisé les costumes du film, d’une beauté et d’une richesse incomparables. Et, pareil à The cell, la photographie (cette fois-ci de Colin Watkinson) est d’une pureté parfaite, éblouissante comme un diamant. Les deux mises en scène de Singh, par leur graphisme sophistiqué, peuvent être (et ont été) perçues comme de belles coquilles vides dénuées d’un quelconque intérêt cinématographique (et principalement scénaristique). Il faut ne pas aimer le cinéma, sa créativité, sa diversité et sa magie, et se complaire dans de mornes chapelles élitistes, pour rejeter à ce point la maîtrise visuelle de Singh qui, loin de n’être qu’une vaine esthétisation, existe, s’accorde et se justifie de par ses intrigues.
Certes, celle de The fall finit par tourner en rond et s’égare un peu trop à la fin dans le larmoyant (le film aurait gagné en puissance émotionnelle avec un quart d’heure en moins), mais cette rencontre improbable, dans un hôpital en 1915, entre un cascadeur suicidaire et une petite fille espiègle (Catinca Untaru, surprenante), sait toucher et amuser de par sa simple alchimie, son évidente complicité. Pourtant parrainé par David Fincher et Spike Jonze, The fall est resté scandaleusement inédit en France (frilosité congénitale des distributeurs) : injuste et cruelle décision pour ce film singulier depuis réhabilité, fable enchantée, grimoire flamboyant et hommage sincère aux casse-cous et acrobates d’un Hollywood d’antan.
Tarsem Singh sur SEUIL CRITIQUE(S) : The cell, Les immortels.