Lowell, Massachusetts, 1990. Trou perdu, banlieue triste de Boston et visage fatigué, usé d’une Amérique à l’abandon (chômage, précarité, drogue). C’est de ce terreau faillible que Micky Ward, boxeur sans triomphe, va s’élever comme il peut vers une reconnaissance méritée (champion du monde WBU en 2000). Mais Fighter propose davantage qu’une success story typiquement américaine et qu’une immersion dans le milieu de la boxe ; il est aussi le portrait émouvant d’un attachement complexe entre deux frères soudés l’un à l’autre par un indéfectible amour fraternel, un amour de la boxe aussi et une co-dépendance puissante, mais destructrice.
Chacun a besoin de l’autre, humainement, professionnellement, et de façon différente : le premier frère, Dicky, est une gloire passée vivant le succès par procuration, réfugié dans ses souvenirs et la fumée du crack. Le deuxième, Micky, est une gloire en devenir qui devra s’affranchir des liens du sang pour, au moins, arriver à croire en lui. On pense évidemment à Rocky, à Raging bull et même à The wrestler, à cet aspect brut et franc du poing qui entremêle passion féroce d’un sport, vie privée dysfonctionnelle et réalité économique et sociale défaillante. Si le film affronte un quotidien peu reluisant (c’est l’Amérique white trash dans toute sa splendeur, pathétique et presque terrifiante), il est cependant emprunt d’un peu d’humour, d’émotions (les premiers pas balbutiants de la relation amoureuse entre Charlene et Micky, Dicky et sa mère chantant dans la voiture, la querelle au retour de prison de Dicky...) et très souvent de tendresse pour des personnages à moitié cabossés (résignés) par une vie dure et en dents de scie.
Il évoque également l’enfermement filial, le poids familial (sept sœurs pataudes et une mère étouffante, infernale) qui pèsent parfois de trop dans l’envie de s’épanouir personnellement, de parvenir à s’affirmer dans ses exploits et même dans ses échecs. Si le rythme, la dynamique du film pêchent par un manque d’originalité pas complètement négligeable (exposition, déchéance, rédemption puis, enfin, réussite), Fighter affiche quand même une belle énergie électrique qui captive sur sa durée et que l’on retrouve, évidemment, lors des combats sur le ring et dans les cordes, filmés avec une précision et un réalisme saisissants (le dernier match, contre Shea Neary, est remarquable et a été reproduit pratiquement à l’identique).
Christian Bale et Mark Wahlberg, eux, se sont littéralement coulés dans leur rôle (Bale en particulier, toujours à la limite du cabotinage) et leur interprétation est l’un des atouts marquants du film (Melissa Leo et Amy Adams sont, elle aussi, éblouissantes), en plus d’une mise en scène alerte qui ne cherche jamais la démonstration. Œuvre simple et sincère, Fighter abaisse sa garde formaliste pour mieux aller cueillir un genre d’essentiel, celui d’une touchante aspiration et d’une victoire sur la déveine.
David O. Russell sur SEUIL CRITIQUE(S) : Happiness therapy, American bluff.