Au contraire de Bienvenue à Gattaca, Les fils de l’homme statue sur une société non plus déterministe par rapport à ses naissances, mais stérile et en proie à une extinction grandiose, irrémédiable. Esthétiquement, le film abandonne lui aussi l’idée d’une postérité pro-technologique, revenant davantage à un monde archaïque s’anéantissant à force de dénégation environnementale, sociale et politique (et même artistique). D’un réalisme rugueux et onirique, magnifié par la photographie charbonneuse d’Emmanuel Lubezki, le chef-d’œuvre d'Alfonso Cuarón impressionne et bouleverse constamment ; Les fils de l’homme est si dense, si profond stylistiquement, que plusieurs visions sont requises pour y déceler tous ses trésors, toutes ses pulsations et toute sa complexité.
Quasi christique (métaphore autour de la Nativité, la scène dans l’étable…), le scénario entraîne le spectateur dans un incroyable périple à travers une Angleterre anéantie par une guerre civile, éprouvée par une répression d’État (politique d’immigration zéro pareille à une actualité récente dans divers pays) et où la survie de l’humanité se retrouverait instituée par deux êtres que tout oppose, mais guidés par un même instinct et une même croyance. Leur odyssée se fait par étapes, par épreuves, par révélations ; elle a le goût prophétique d’une tourmente post-fin du monde qui les guidera jusqu’aux entrailles d’un camp de réfugiés tristement semblable à ceux que l’on a pu découvrir au fil des événements qui, régulièrement, secouent notre Histoire (Darfour, Katrina, Rwanda, Sangatte…).
Brutal et concret dans le fond par ce qu’il montre, suggère et dénonce, le film l’est plus encore dans sa forme, Cuarón privilégiant une instantanéité d’action/réaction par rapport au vécu immédiat des protagonistes. L'emploi régulier du plan-séquence (en plus d’une caméra portée, scandée et instinctive) s’adapte ainsi au chaos ambiant, à cet état d'urgence que les personnages subissent en continu dans leur chair et dans leur sang. Pas moins de cinq plans-séquences embrasent littéralement le film : celui en ouverture, celui dans la voiture (sidérant), l’échappée de la ferme, l’accouchement (d’une rare intensité) et la guérilla urbaine finale renvoyant l’introduction du Soldat Ryan à une molle suffisance. Étrangement ignoré par la presse (et le public) lors de sa sortie en salles, Les fils de l’homme a, depuis, acquis une reconnaissance unanime le plaçant parmi les meilleures et les plus surprenantes œuvres d’anticipation sur la dérive apocalyptique de notre planète, pleine de cendres et de fureur (et d'espoir aussi).
Alfonso Cuarón sur SEUIL CRITIQUE(S) : Gravity, Roma, Disclaimer.