Il y a un an presque jour pour jour, sortait sur les écrans français le Gran Torino d’Eastwood, acclamé par une presse dithyrambique, unanime et visiblement aveuglée (prosternée) face à un film pourtant guère convaincant et usant de pas mal de poncifs. Le syndrome Gran Torino fait aujourd’hui un retour navrant avec la dernière œuvre lymphatique de Polanski, The ghost writer, qui bénéficie à son tour d’un large ensemble de critiques étrangement élogieuses sans qu’aucune demi-mesure ne semble (ne soit ?) consentie ou même tolérée.
Revenu en odeur de sainteté auprès des professionnels de la profession avec Le pianiste en 2002 (après les mitigés Lunes de fiel, La jeune fille et la mort et La neuvième porte), Polanski paraît désormais profiter d’une aura d’intouchable, ses récents démêlés avec les tribunaux donnant l’impression d’avoir attendri pas mal de dents dures dans les alentours. De The ghost writer, on félicite soudain le génie incessant de la mise en scène (en fait plus sobre que réellement géniale) comme si les films d’avant ne comptaient pas, on mentionne plus que jamais les grandes figures du septième art (Lang, Hitchcock) telles d’impérieuses évidences, on établit à l’unisson de subtiles correspondances avec ses affres judiciaires comme si elles allaient de soi, comme si elles étaient apparemment brillantes, nécessaires et d’une ironie plus brillante encore.
Cet imbroglio politique croisant nègre littéraire ingénu, secrets refoulés, barbouzes de la CIA, connivences d’États et tortures en Irak, souffre d’une incommensurable apathie que personne, vraisemblablement, n’a ressenti ou ne souhaite rendre compte. Et que l’on puisse distinguer ou non les parallèles avec l’actualité internationale (Tony Blair) ou du scandale (Polanski), qu’importe, ce n’est certainement pas cette acuité ni ce soi-disant filigrane scénaristiques qui vont porter le film à un summum de rythme parfait ou de fine analyse politique (on reste plutôt dans le registre de la gentille satire).
L’exposition occupe toute la première moitié du film, la mécanique du récit s’installe, dispose les personnages tels des pions sur un vaste échiquier, prépare patiemment et minutieusement les futurs enjeux narratifs. Mais parti de cette mise en place fastidieuse, le film s’immobilise finalement dans un mouvement avorté, comme pris au piège lui aussi de la maison-bunker perdue au milieu du sable et des dunes (et rappelant les demeures inquiétantes souvent présentes dans la filmographie polanskienne). La deuxième partie, centrée davantage sur l’enquête du ghost writer (Ewan McGregor, impeccable en écrivaillon naïf), apporte un petit mieux dans la vigueur ou l’intérêt (la confrontation avec Tom Wilkinson et la scène de filature sont remarquables), et ce jusqu’au superbe final, cruel et cynique en diable (dommage alors que l’ensemble du film ait négligé à ce point ces deux aspects-là).
L’intrigant et l’équivoque affleurent plus qu’ils ne saisissent, les thématiques (la paranoïa, l’oppression, les mensonges) et le sens de l’absurde (le jardinier, les gardes du corps, la pluie incessante) si chers à Polanski, se devinent ici et là en suggérant quelques-uns de ses chefs-d’œuvre passés (Chinatown, Le locataire). Et si le casting étincelant, si la tranquille assurance du réalisateur font plaisir à voir, The ghost writer demeure avant tout un thriller ennuyeux et sans surprise évoquant un bon vieux Chabrol bien pépère, et davantage en tout cas qu’un redoutable précis d’ambiguïté ou de suspens.
Roman Polanski sur SEUIL CRITIQUE(S) : Lunes de fiel, La Vénus à la fourrure, J'accuse.