Ironicus strategicus marketingus : là où, au moins, La coupe de feu et L’Ordre du Phénix (les romans les plus conséquents et les plus aboutis) méritaient vraiment d’être développés en diptyque (mais, à l’époque, l’heure n’en était pas encore à l’évaluation du tiroir-caisse), Les reliques de la mort pouvait, lui, ne durer que l’instant d’un seul et unique film. On pourra longtemps ergoter sur cette nécessité pas spécialement transparente et qui fait dire aux profondi septicus comme moi que la vénalité commerciale des requins chez Warner a redoublé d’intensité puisque le dénouement de la franchise est désormais inéluctable ; mais qu’ils se rassurent, il reste encore à vendre les jeux vidéo, les applications iPhone, les coffrets collector, les éditions super spéciales et les director’s cut définitives avec, éventuellement, un poil pubien de Daniel Radcliffe en cadeau.
Le long du temps très long des Reliques de la mort, l’évidence d’un scénario proprement écartelé jusqu’à la rupture cérébrale s’impose aux seuls esprits chagrins, évidence aussi implacable qu’un Avada Kedavra balancé sur un pauvre Moldu qui passait par-là. Les autres épisodes tranchaient allègrement dans le vif pour parvenir à une sorte d’exhaustivité narrative plutôt correcte, mais relativement consensuelle par rapport aux livres qu’elle ne cherchait jamais à "trahir", surtout dans L’école des sorciers et La chambre des secrets de Chris Colombus. Celle-ci n’a, apparemment, jamais gêné les executives de la saga qui, pour l’ultime épisode, décident soudain d’en faire deux films alors que le roman était facilement transposable en un seul. L’appât du gain, en dupant des pigeons spectateurs totalement dociles face à cette capitalisation mercantile passant pour une pseudo-caution artistique impérative, aura finalement été plus fort que vous-savez-qui. C’est triste.
De fait, David Yates et Steve Kloves font perdurer la moindre scène en l’étirant au maximum parce qu’il faut pouvoir faire rentrer une intrigue de 2h30 dans un format de 5h divisible par deux, histoire de rentabiliser la chose une dernière fois. À l’écran, cela se traduit par pas mal de longueurs, des tournages en rond, en travers et des scènes inutiles qui pouvaient facilement passer à la trappe tels que, par exemple, le mariage de Bill et Fleur, les errements sentimentaux de nos trois héros, toujours aussi mornes et qui semblent ne jamais évoluer, ou le pas de danse ridicule sur du Nick Cave, emprunt pathétique au chanteur mélancolique pour entériner facticement la noirceur d’un univers qui n’a de noir que sa photographie ténébreuse (au demeurant très belle), tout en étant supposé apporter quelques grammes de finesse dans ce monde de brutes (c’est raté).
On ne retrouve plus cette instantanéité, presque cette urgence, qui fonctionnait si bien dans Le prisonnier d’Azkaban ou La coupe de feu. Tout se délite ici dans l’ennui et dans l’attente de vains rebondissements qui viennent, sporadiquement, susciter un regain d’intérêt ou de piquant. C’était toutefois de cette manière qu’était écrit le roman, jouant sur l’immobilité des principaux protagonistes, privilégiant une inaction, une recherche hasardeuse (les Horcruxes) qui ne menait pratiquement à rien sinon un happy end dérisoire (cynique ?) expédié en trois pages. Mais J. K. Rowling avait suffisamment de talent pour que son intrigue "statique", hors des murs de Poudlard, et livrée à la seule imagination et interprétation du lecteur, provoque une part considérable de mystère(s) et de rêve(s) hantée par un spleen plus éthéré que platement concret (dans les films). Cette part de magie ne passe malheureusement pas le cap d’une scénarisation insipide, d’une mauvaise gestion du temps, du rythme, et d’une mise en image scolaire (métaphore poussive du régime nazi ; manquait plus qu’une croix gammée en arrière-plan pour se croire dans La liste de Schindler), qui, curieusement, dégagent pourtant plus de flamme et de charme que dans l’affligeant Prince de sang-mêlé.
La soi-disant profondeur des personnages, faisant front à eux-mêmes, à leur conscience et à la barbarie d’un monde définitivement tyrannique, est non seulement embarrassée de dialogues ternes, mais également d’une interprétation rarement à la hauteur, le tout, enfin, empesé d’une solennité de pacotille qui voudrait qu’on la juge comme une maturité admirable, enfin accomplie. Les deux derniers tomes, malgré leur violence et malgré les morts, gardaient un côté "malicieux", une dimension conte de fées que les films s’évertuent à gommer pour s’essayer à une tentative réaliste et dramatique, croyant ainsi être pris au sérieux (mais trop de sérieux tue le sérieux, c’est bien connu) par on ne sait trop qui (Télérama ? Les fans de Béla Tarr ? Ma boulangère ?...). Réussir à s’affranchir des livres, bien sûr, mais sans les déposséder de leur sève et de leur identité première : la fable initiatique qui s’adresse aux enfants/adolescents sans exclure un aspect plus adulte (et non l’inverse).
Que reste-t-il alors de ces Reliques de la mort traînant difficilement un semi-plaisir monocorde et pas mal de désillusions aussi ? Une esthétique toujours parfaite (lumières, décors, costumes), quelques scènes réussies (une course-poursuite en balais volants, la mission secrète dans le ministère de la Magie, la magnifique séquence d’animation…) qui puisent à la source même du caractère "enchanté" des livres sans prétendre à autre chose de plus démonstratif, et les aboutissements sûrs et certains d’une future bataille que l’on sait, et que l’on espère, passionnante, homérique et bouleversante. C’est un rêve plutôt tentant.
Harry Potter sur SEUIL CRITIQUE(S) : L'Ordre du Phénix, Le Prince de sang-mêlé, Les reliques de la mort - Partie 2.