Les premières images du film, compilation accablante d’archives en noir et blanc, montrent ce qui, et même encore aujourd’hui (la Proposition 8, Christian Vanneste, les gay prides réprimées en Pologne ou à Moscou, les outings sauvages dans plusieurs pays d’Afrique, le procès des "52" en Égypte, le calvaire de Matthew Shepard…), prévalait à l’égard de l’homosexualité : amalgames douteux, emprisonnements, haine aveugle et préjugés. Ces images exposent, dans toute leur radicalité, ce que les homosexuels subissaient alors au quotidien (c’était il y a à peine 30 ans) avant que les mentalités, au fil des années et des gouvernements, n’évoluent lentement vers une meilleure acceptation, une meilleure reconnaissance des gays dans la société.
Harvey Milk, premier homme politique américain à affirmer pleinement son homosexualité, a contribué à ce changement, à cette "révolution rose", luttant, avec une équipe d’hommes et de femmes engagés, contre l’intolérance, les reniements et les discriminations professionnelles à l’encontre des gays, mais aussi en faveur des travailleurs précaires, des Noirs, des seniors et de toute autre minorité. Il batailla surtout contre les abrogations rétrogrades et liberticides d’Anita Bryant et John Briggs, bigots ultra-homophobes dévoués fondamentalement à la "parole" de Dieu.
Gus Van Sant, après quatre films-expériences absolus, élégies évanescentes et triturations sensorielles, revient ici à une réalisation et une esthétique plus classiques dans la lignée de Prête à tout, Will Hunting ou À la rencontre de Forrester. Mais il aime encore, parfois, à poétiser sa mise en scène (voir la séquence de la piscine, référence instantanée à David Hockney) et à prendre quelques chemins de traverse (la croisade meurtrière de Dan White, dans les couloirs de la mairie, a des faux airs d’Elephant) pour dépasser l’apparence d’une autobiographie trop traditionnelle, certes plus démonstrative que suggestive. L’aspect forcément politique et institutionnel du film peut décevoir, voire décourager, mais Harvey Milk a pour lui une belle énergie revendicatrice, un enthousiasme et une détermination qui parviennent à stimuler les nombreuses discussions de stratégies électorales.
Évidemment, il a aussi pour lui l’interprétation magnifique de Sean Penn, tour à tour bouleversant, passionné et midinette, et de l’ensemble d’un casting parfaitement mis en valeur. Biopic inspiré souvent drôle, toujours pertinent, mais surtout plaidoyer militant et universel, Harvey Milk est aussi un formidable, un émouvant témoignage du San Francisco des années 70, Van Sant alternant, avec talent et intelligence, reconstitution formelle et vraies images d’une époque bouillonnante où tout était encore à faire, à imposer et à inventer au nom du droit à vivre, à aimer sans entrave et sans jugement.
Gus Van Sant sur SEUIL CRITIQUE(S) : Elephant.