Memories of murder, le précédent film de Bong Joon-ho, s’élaborait par rapport à une référence de base (le thriller), puis se déconstruisait en plusieurs "styles" (la farce, le suspens, la satire politique) pour former, de fait, une œuvre mille-feuilles passionnante. The host reprend ce principe de (dé)construction : un modèle (le film de monstre) et plusieurs strates de lecture permettant au film de dépasser le genre imposé et d’en faire un chef-d’œuvre foisonnant, burlesque et intrigant. Burlesque parce que les héros sont essentiellement une bande d’incapables, famille de pieds nickelés qui, in fine, se révèleront des êtres acharnés à leur survie et à celle du membre de leur clan, enlevé par le monstre.
Le monstre, justement : volontairement grotesque, souvent maladroit, presque drôle, croisement improbable entre un spermatozoïde et une grenouille géante, il terrifie et amuse à la fois. Le film alterne les extrêmes de la sorte, créant un chaud et froid toujours surprenant : en quelques secondes, une cérémonie à la mémoire des victimes se transforme en désopilante bagarre pleurnicharde, un discours émouvant en monologue soporifique, une manifestation contre l’État en final délirant… Comme dans Memories of murder, Bong Joon-ho profite du désordre organisé pour dénoncer la situation politique et économique de son pays entre soumission aveugle aux États-Unis et monde du travail sans issue (chômage ou suicide).
Outre la structure narrative parfaite, la mise en scène de Bong Joon-ho est maîtrisée, fluide et propre à créer des images surréalistes, des tableaux cauchemardesques ou des ambiances insolites renforcés par la configuration visuelle et graphique des lieux utilisés (omniprésence de l’eau et de la pluie, égouts, ponts, quais, tunnels, canalisations). Imprévisible, contradictoire et puissant, le film travaille souterrainement la métaphore de la famille, de la (re)naissance et de la paternité (la figure de la mère est absente du film, et la seule allusion féminine peut éventuellement se deviner dans l’étrange bouche vaginale du monstre), tout en procurant le spectacle inattendu d’un film de monstre revisité avec brio et invention.
Bong Joon-ho sur SEUIL CRITIQUE(S) : Mother, Le transperceneige, Okja, Parasite.