Plus (dé)culotté, plus drôle et pertinent, dans un presque même genre (amour, liberté et musique), que Good morning England, ce sympathique Hôtel Woodstock porte un regard attendri et loufoque sur la mise en place titanesque du concert mythique de 1969. Le film, intelligemment, se concentre rarement sur l’événement en lui-même, événement que l’on ne verra jamais ou simplement de loin, le temps d’une belle et courte scène de trip psychédélique. La bande-son se refuse, elle aussi, aux standards obligés et incontournables qu’appelle un tel projet, laissant, de fait, libre cours à la partition discrète de Danny Elfman.
Ang Lee et son scénariste s’attachent davantage au portrait d’un jeune homme un peu paumé pris dans l’effervescence de l’aventure hippie et qui, au terme de celle-ci, finira par pleinement s’assumer, s’émanciper, (re)vivre selon ses propres désirs (Woodstock agira sur lui comme une sorte d’étape initiatique, libératrice, tout comme il aura agi ainsi, sans doute, sur des milliers de personnes à cette époque). Ils décrivent également les à-côtés (argent, règlements de comptes, organisation, exploitations diverses…), les incidences, les impacts et réactions d’une si marquante circonstance qui allait devenir, par la force des choses, l’une des manifestations musicales les plus retentissantes de ces cent dernières années.
Le film prend son temps, se plaît à décrire, à batifoler, à s’attarder (même si le rythme n’est pas toujours soutenu), et c’est ce qui fait là tout son charme inconséquent, toute sa chouette bonhomie. Pas de message fabuleux ni de transcendance esthétique, mais une pagaille colorée et joyeuse qui fait sourire, qui fait rêver. Avec, au cœur de ce maelström, une surprenante découverte, celle de l’acteur Demitri Martin, fragile et dégingandé, secret et touchant, éclipsant délicatement tous les autres acteurs qui n’oublient pas de s’amuser (Imelda Staunton et Liev Schreiber en tête).
Surtout, Hôtel Woodstock donne très envie, l’idée folle même, de retourner dans le passé pour participer à cette grande révolution peace and love, et pouvoir se jeter tout nu dans la boue, s’ébahir face à Janis et Jimi, fumer des joints ou s’abandonner à diverses hallucinations, tenter des expériences, vivre, ressentir ce moment intense de communion, de joie et de dissidence, ce périple unique devenu, pendant trois jours inoubliables, le "centre de l’univers". Trois jours où toutes les barrières (ethniques, sexuelles, culturelles et sociales) ont été abolies, suspendues, ouvertes au rassemblement et à la paix. Car ici et maintenant, hélas, nous n’avons plus en l’état qu’une société aseptisée, sombre gouffre à émotions et à libertés, carcans, prisons et murs où les mentalités, inexorablement, s’enferment et se referment.