Terres inconnues ou terres promises, chevaux dans les grains du soleil, rencontres essentielles, marées mortes, trains en transe, babas, bobos, bus magique comme une tombe idéale… À travers le périple sans retour de Christopher, vu comme un geste épique total, honnête jusqu’à la mort (ou comme un acte atrabilaire et égoïste), Sean Penn glorifie (ou charge) une nature changeante, exigeante, dangereuse mais vitale. Avec, parfois, une emphase ou quelques élans grandiloquents qui minent l’alchimie intime d’un risible sirupeux, ralentis inutiles, musique clinquante, sermons à la pelle comme des clichés de comptoir.
Le film est plus probant quand il montre simplement, sans tralala : un regard muet, intense, entre un vieil homme et un adolescent dans un téléphérique, une question posée qui foudroie les airs et perle les yeux ("Tes parents savent où tu es ?"), un vol d’oiseaux, un ressac, la corvée incommensurable qu’est celle de dépecer un animal à presque mains nues… Plus remuant que quand il assène, énonce comme un prêche humaniste roucoulant et naïf, sursignifie chaque émotion, chaque volonté, chaque décision, chaque sourire. La fin est sans appel, retour cruel à une réalité esquivée, ignorée dans une béatitude panthéiste, belle et suicidaire à la fois, et cette fin terrible qui secoue la gorge, retourne la peau, conclusion empoisonnée d’un beau voyage magnifié, épris, éperdu, labyrinthique.
Un gamin agonise dans un taudis, retranché du monde, loin de la vie, échouant à réaliser son rêve, sa folie, et pris à son propre piège, comprenant trop tard qu’une fuite en avant, désespérée et idéaliste, n’est pas la panacée voulue à ses maux intérieurs, à un rejet d’une société consummériste qu’il voudrait changer, échanger contre un bien-être constant, éternel peut-être, et qu’il faut savoir assumer ce que l’on est, accepter d’où l’on vient, savoir au terme de l’aventure que le bonheur se partage à bras ouverts, les yeux dans les yeux, à l’ombre d’un arbre ou perdu dans une mégapole cannibale… La morale du film, que beaucoup ont vu comme un bras d’honneur au capitalisme, à l’artificiel, au moche technologique de nos villes, pourrait finalement se lire, à l’inverse, comme une façon de les admettre, de les consentir et de les tolérer pour mieux les vivre ensemble. Et que la nature à nos côtés, immense, indispensable et fragile, nous aide à désirer et à exister.