William Friedkin, toujours vert et toujours la trique. En papy enragé et libidineux (il faut voir comment il maltraite, comment il se régale de Gina Gershon et Juno Temple qui s’offrent sans pudeur et sous tous les angles), celui-ci a planté une nouvelle fois sa caméra au Texas, terre éternelle des ploucs, des bouseux et des white trash hantée par les fantômes ricanants de J. R. Ewing et Leatherface. À l’origine, Killer Joe est une pièce de théâtre écrite (et adaptée) par Tracy Letts (il fit de même pour son angoissant Bug que Friedkin réalisa en 2006) qu’on pourra résumer à une espèce de condensé de connerie et de veulerie humaines dans ce qu’elles peuvent avoir de plus extrême et de plus pathétique aussi. On pense évidemment aux frères Coen, à Fargo (un peu), à No country for old men (beaucoup) et à Blood simple (à la folie), à ces spirales infernales de meurtres et de dollars, de fatalité et de tueurs patibulaires qui n’épargnent plus rien ni personne.
En filigrane de ce cloaque poisseux (plus proche d’ailleurs de la tragédie que du pur thriller) exagérément plébiscité où il faut se débarrasser de la mère pour palper du flouze, Letts et Friedkin proposent une réflexion sur les sentiments amoureux et les liens familiaux, mis a mal le plus souvent, éprouvés et tiraillés, exacerbés soudain lors de ce repas final complètement barge (simulacre de félicité), et sur quelques êtres abandonnés à leur solitude et à leur ignorance, tournant en rond, sans repères, en recherche désespérée d’affection et d’un éventuel foyer, voire d’une descendance (en particulier Joe et Dottie). Sous la crasse, l’envie de "normalité".
Les acteurs surjouent, éructent et gesticulent, se régalent à interpréter des êtres vils et minables jusque dans leurs entrailles. Matthew McConaughey, lui, est terrifiant dans sa banale onctuosité et sa rage refoulée ; avec son chapeau, ses santiags et ses Ray Ban, il semble incarner le fils naturel de ce salopard de Loren Visser dans Blood simple. Dommage cependant qu’à force de cynisme et de bêtise élevée à un niveau si peu commun, on finisse par ne plus s’attacher ni aux personnages, ni à leur sort misérable (au moins prenait-on pitié de Ray, d’Abby, de Jerry Lundegaard et de Llewelyn Moss).
Au fur et à mesure que le film déroule, assez platement (la filiation théâtrale est criante), ses excès et ses malaises, le spectateur se déconnecte de ce pandémonium un peu vain parce qu’il n’y en a pas un pour sauver l’autre, et parce que Friedkin ne leur laisse aucune chance de se rattraper ou de se racheter. Leurs tracasseries n’intéressent plus ou concernent peu (Chris aux prises avec Digger, par exemple) et le final déboule comme un exutoire providentiel (pour le spectateur comme pour les protagonistes) où toute la violence contenue pendant le film explose soudain à coups de pilon de poulet et de boîte de conserve, de cris et de flingues. Cut brutal pour rester dans le ton, puis tout le monde peut aller se rhabiller, un peu désappointé : quoi, tout ça pour ça ?
William Friedkin sur SEUIL CRITIQUE(S) : Cruising.