Cinq minutes à peine ont passé qu’on sent déjà le truc venir, mais si, ce truc gluant et tenace qui vous plombe un film en beauté, ce truc gluant et tenace qu’on appelle l’ennui… Puis dix minutes s'écoulent, puis après trente, ensuite une heure, finalement deux, et toujours rien, c’en est à pleurer ; aucune fièvre, aucun rire (ou si peu), aucune empathie pour les personnages, que dalle, même pas pour cette pauvre petite souris grise à moustaches noires. Certes, ça fourmille de trouvailles et d’inventions à la microseconde et dans tous les recoins possibles du cadre, dans les situations, les décors, la mise en scène, partout. Résultat : trop d’idées gondriennes tue l’idée gondrienne.
Et tue surtout l’émotion qu’on était en droit d’attendre devant cette tragique histoire d’amour qui a empoisonné nos vies lycéennes entre Zola, Balzac, Barjavel, premier râteau et première fumette. Gondry fait juste nous resservir la soupe qu’il mitonne depuis des années, et L’écume des jours ressemblera donc à un interminable clip de Björk, de The white stripes ou de The vines, ou même à un épisode de Téléchat en mode "Le petit Boris Vian illustré". Certaines séquences sont très réussies, ne mégottons pas (le mariage, la scène à la patinoire, l’envolée au-dessus de Paris dans un petit nuage…), mais c’est vraiment pas grand-chose face à ce fourbi sponsorisé par Mr. Bricolage qui n’arrive jamais à toucher, espèce de réplique sismique des dernières daubes de Jean-Pierre Jeunet, les filtres jaunes en moins.
Le film est comme un bric-à-brac d’objets et d’idées qui aurait tout enseveli sous ses trois tonnes de bonnes intentions et de tics tocs visuels. Et puis que les acteurs sont fades ! Qu’ils sont penauds ! Qu’ils sont mauvais à déclamer les mots de Vian sans leur donner chair, sans les posséder ou les violenter. En même temps, faut être réaliste quoi : avec un humoriste pas drôle qui se prend pour un comédien, un mec qui a répondu au téléphone pendant des années et qui se prend aussi pour un comédien, une actrice qui minaude ou qui tousse et un acteur qui commence sérieusement à hérisser le poil (et Dieu sait qu’il en a), fallait pas s’attendre à de l’Actors Studio.
Le film sait être fidèle au bouquin et à son incroyable fantaisie, mais reste purement illustratif, joliment artisanal (fuck the 3D), obsédé par sa recherche d’imaginaire tarabiscoté en oubliant de construire un récit passionnant, d’en extraire sa substantifique grâce. Gageons qu’il y aura des gens bien attentionnés (il en faut) pour déceler dans ce machin un sommet d’ingéniosité et de sensibilité poétiques. Les autres iront pourrir en enfer, myopes des yeux, myopes du cœur et myopes du cul, incapables de ressentir la chose, d’en vanter l’excentricité, la tendresse, la candeur, et de s’extasier à la vue de Philippe Torreton dans une pipe volante ou d’Alain Chabat dans un frigidaire (moi perso, j’y suis pas arrivé). Gondry, ou l’art de transformer l’écume des jours en mousse auto-nettoyante.
Michel Gondry sur SEUIL CRITIQUE(S) : The we and the I, Le livre des solutions.