C’est l’histoire de trois flics, trois parcours en creux et sans gloire, sans rien d’héroïque, différents chacun dans l’adversité et les démons intérieurs (alcool, apathie, crise d’identité, tentation de dépasser les limites…). C’est que L’élite de Brooklyn a le mérite de proposer autre chose qu’un simple thriller noir brûlant, plutôt des tranches de vies (il y a très peu d’action), la chronique humaine et désespérée de flics fatigués, usés, abîmés dans le chaos et la chaleur de Brooklyn. C’est là sa force paradoxale, celle de jouer profil bas, d’esquiver la moindre des prétentions (et démonstrations) tout en empruntant les codes archi-balisés du genre.
L’élite de Brooklyn n’a donc rien de surprenant, le film ne cherche, à aucun moment, à se singulariser, à renouveler quoi que ce soit, à révolutionner ce qui a déjà été vu ailleurs et en mieux ; dans sa parfaite modestie, il opte pour une sorte de classicisme old school qui, finalement, lui va très bien. L’ombre tutélaire des grands polars urbains des années 70, et celle aussi des films gangsta blacks des années 90 tels que Boyz’n the hood, Menace II society ou New Jack City (déjà avec Wesley Snipes), planent nonchalamment au-dessus du film, et Fuqua soit y rend un bel et discret hommage, soit réussit à s’en imprégner sans en dépendre complètement.
Le film adopte la structure d’un film choral à choix et personnages multiples dont les destins poisseux sont suivis en parallèle, et se croisant enfin lors d’un dernier soubresaut nocturne et sanglant. S’il peine à démarrer dans l’exposition de ses "héros" et la mise en place de ses enjeux, le film noue, installe progressivement drames et tensions jusqu’à un final spectral où les lumières blanches de l’au-delà semblent ne plus briller pour personne. Morale et Dieu ne font pas bon ménage (surtout pour Sal, catholique pratiquant qui avoue que si "Dieu n’existe pas, alors tout est permis"), et la rédemption n’est qu’un leurre, possible seulement dans quelques chimères, pour les morts comme pour les vivants.
Fuqua n’oublie pas de faire de Brooklyn un protagoniste à part entière, poudrière prête à s’enflammer où les tragédies de tous sont les quotidiens de chacun. La vision de ce quartier de New York (très loin du clinquant de Manhattan) est superbe et en même temps sans compromis, d’une noirceur totalement assumée dans sa description crépusculaire (drogues, meurtres, prostitution, misère sociale). Embarquant avec lui un casting en béton armé, Fuqua signe une œuvre attendue mais sincère sur trois hommes secrètement meurtris, égarés entre désespoir, violence à vif et instinct de survie.
Antoine Fuqua sur SEUIL CRITIQUE(S) : Les larmes du soleil.