Palmes d’or légendaires 3/5 - 1998
Moins réussi, mais plus accessible, que Le regard d’Ulysse ou Le pas suspendu de la cigogne (les chefs-d’œuvre d’Angelopoulos), L’éternité et un jour évoque Proust perdu chez les Balkans dans l’image de cet écrivain qui va mourir et se rappelant sa vie passée, sa femme surtout qu’il n’a su aimer, peut-être, par rapport à son immense amour à elle. Dans son périple poignant entre souvenirs lumineux et morne réalité, à l’approche de la mort, il va rencontrer un petit Albanais, tout jeune réfugié qu’il tentera d’arracher à des trafiquants d’enfants et de ramener vers les siens, de l’autre côté des frontières brumeuses et terribles.
C’est un retour aux origines, et en même temps un exil, que raconte pleinement Angelopoulos avec, toujours, cette puissance sublime dans la mise en scène, mouvements, rythmes et plans-séquences admirables, amples dans leur façon de magnifier ou recomposer le réel, et l’histoire d’un pays aussi par-delà ses traditions culturelles et religieuses. Ce retour aux origines prend essentiellement la forme d’une nostalgie des jours meilleurs et d’un monde privilégié (L’éternité et un jour serait-il le Nostalghia du réalisateur grec ?), en opposition à une fuite du présent miné par des désillusions sociales et politiques.
Alexandre, cet écrivain parvenu au soir de sa vie, vagabonde à travers l’hier (sa mémoire) et l’aujourd’hui (l’enfant qu’il faut aider), témoin d’une Histoire en marche sans plus de repères ni d’humanité. Comme pour y échapper, il s’immerge une dernière fois dans les lacis ensoleillés de ses souvenirs qu’il voudrait ne jamais délaisser, ne jamais quitter, tel un temps indéfini, impalpable et offert en entier, qui lui resterait de nouveau à vivre. Il ne faut pas oublier, si primordiale dans cette grande œuvre désenchantée, la musique splendide, comme toujours, d’Eleni Karaindrou, compositrice attitrée d’Angelopoulos, emprunte ici d’une belle mémoire tzigane, violons, accordéons et pianos qui pleurent, dansent, s’entremêlent et se répondent, mélodies mélancoliques mais brûlantes restituant si parfaitement l’âme errante de pays déchirés par les déracinements et les guerres.
Theo Angelopoulos sur SEUIL CRITIQUE(S) : La poussière du temps.