On va, direct, dégager les détails graveleux qui ont fait jaser (à Cannes) et qui font jaser encore (chez les Mormons à Versailles et à Saint-Cloud) pour pouvoir se concentrer sur le fond : oui il y a une éjac, oui il y a une fellation, oui il y a de la bite, oui il y a des garçons qui se roulent des pelles, des garçons qui se sucent et qui s’enculent. Un peu normal en même temps parce que le film d’Alain Guiraudie se déroule exclusivement sur un lieu de drague homo (une plage naturiste autour d’un lac aux eaux claires) où Franck rencontre Michel, un jour. Et puis un soir, Franck surprend Michel tuer son amant en le noyant dans les flots. Plus tard, on s’interroge quand son cadavre est découvert : accident regrettable ou bien… un meurtre ?
Où serait-ce, peut-être, le silure de cinq mètres de long qui traîne au fond du lac ? Parce que oui, ça peut exister un silure de cinq mètres, on n’en a jamais vu, mais ça peut exister. Un micro-suspens s’installe alors : Michel sait-il que Franck sait ? Et Franck, éperdument attiré par cet homme étrange (au look d’acteur porno gay des années 70 échappé d’une production Colt Studio) dont il devient le nouvel amant, le dénoncera-t-il au commissaire qui rôde alentour et questionne ces messieurs venus bronzer et "consommer" du mâle ? Et qu’attend Henri, que guette-t-il lui, cet homme seul et triste qui passe ses journées à contempler le lac, le regard braqué au loin ?
Guiraudie bien sûr joue la carte du thriller ensoleillé à deux à l’heure, tout en ne se privant jamais de filmer les corps, beaux ou moins beaux qui s’étreignent et qui s’aiment (un peu) dans les fourrés et les herbes hautes. Un thriller le cul à l’air, sans complexes ; pas une pornographie froide, mais évidente, exultée (et tant pis pour les pisse-froid). Au rythme tranquille de gestes ritualisés (garer sa voiture, aller à la plage, étendre sa serviette, se dévêtir…) et d’après-midis qui s’égrènent (le film prend son temps, baguenaude, quitte à ne pas happer tout de suite, à ennuyer gentiment), le désir et le danger s’entremêlent, les sentiments et la mort (et la vie aussi) s’entrechoquent.
Guiraudie, entre baignades et sodomies, paradis et enfer, invoque le plaisir, la puissance de jouir au-delà de la menace (Michel) et du trépas (la dépouille dans l’eau). Sa plage de galets, comme à l’écart du monde, devient un lieu-symbole où la passion (et le sexe) s’inscrit comme une nécessité qui aurait oblitéré toute logique, tout raisonnement, au profit d’un hédonisme vital plus fort que la solitude. Le film se termine dans une quasi-obscurité et par une dernière supplique trahissant une envie d’amour par-dessus tout, perdue, sans écho, parmi les ténèbres qui engloutissent alors l’écran, noires comme l’incertitude.
Alain Guiraudie sur SEUIL CRITIQUE(S) : Rester vertical, Viens je t'emmène.