Le cinéma a les références (écrasantes parfois) qu’il mérite, et en regardant La fée (ou plutôt en le subissant), on pense tout de suite à Tati, puis ensuite aux Deschiens, puis après à Roy Andersson, puis enfin à Kaurismäki. C’est dire que le troisième film de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, après L’iceberg et Rumba (à l’univers pareillement identique), a du mal à se démarquer, à exister pour lui ou même aux yeux d’un spectateur plein d’indulgence. C’est sûr, le film est sympathique, mignon tout plein, humble et bricolo, réalisé avec l’amour du travail bien fait, mais bon, c’est quand même pas super entraînant et, surtout, ça laisse amorphe sur son siège, froid et impassible tel un glaçon sur une plaque chauffante.
Cette histoire de passion plus forte que tout entre un veilleur de nuit et une fée échappée de l’asile, de volonté et d’envie de vivre comme on veut, enchaîne trop méthodiquement les saynètes presque entièrement autonomes entre elles (Dom veut manger son sandwich, Fiona essaie des chaussures, Dom et Fiona boivent une bière…) et arrachant parfois, au prix de moult efforts physiques, quelques sourires infimes perdus dans un marasme à l’image du décorum poético-urbain (Le Havre, mon amour) aussi sexy qu’un niveau de garage souterrain à Châtelet. Le hic est là : malgré la belle et entière sincérité du film, ses limites sont visibles à trois millions de kilomètres.
La fée, conte absurde mais sous Tranxène, n’a jamais de réelle fantaisie dans son art et ses manières en dépit de plusieurs gags visuels et autres trouvailles scénaristiques ; jamais de grains de folie non plus ou de grains de sable venant enrayer l’ordonnancement trop voulu, trop figé de chaque tableau-scène qui défile sans provoquer entrain, swing et envies de grosse patate. Abel et Gordon ont beau se démener devant la caméra, physiques lunaires et mines ahuries, jouer pas mal de leur personne et de leur corps élastique, on reste désespérément extérieur, voire insensible, à leur bonheur et leurs petits malheurs. C’est regrettable à dire, mais La fée, film d’un autre temps, n’a vraiment rien de magique.