Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu un film d’espionnage à l’ancienne et remis au goût du jour avec juste ce qu’il faut de brio. Entre les gadgets de James Bond et le 100% action de Mission : Impossible, ce retour aux sources a quelque chose d’intemporel, de pas vraiment en phase, et donc d’intéressant. Adapté d’un roman phare de John le Carré (Tinker, Tailor, Soldier, Spy, misérablement traduit par La taupe), le nouveau film de Tomas Alfredson (attendu au tournant depuis son inoubliable Morse) a clairement de l’allure et de la classe, mais le scénario, s’il nous perd et nous plonge à dessein dans les eaux troubles de l’espionnage international, ne parvient pas à captiver complètement.
En termes d’action, La taupe se résume à deux coups de feu, une séance d’interrogatoire et un dossier secret à aller subtiliser aux archives. Pour le reste, c’est conciliabules et dialogues feutrés, sourires crispés et regards en biais : ici on ne castagne pas (ou presque), on cause. On pense et agit en stratège, déplaçant ses pions comme à une partie d’échecs. Jeu de dupes et nid de vipères entre Londres, Budapest, Istanbul et Paris, La taupe navigue sereinement et avec aisance au sein d’un univers opaque pour en révéler les nombreuses manœuvres, conspirations et trahisons.
La chasse à l’agent double vendu aux soviétiques n’est qu’un leurre : c’est d’abord la soif d’un pouvoir brûlant qui motive les pratiques de chacun, officielles ou silencieuses, pour tenter d’accéder à la tête des services secrets britanniques (le fameux MI6). Le plan final laisse d’ailleurs dans une sorte de flou, d’expectative (qui est vraiment celui qu’il prétend être ? L’insaisissable Karla a-t-il tout manigancé ?). Derrière les signes ostentatoires du film d’agents secrets et de barbouzes à papa (avec ce qu’il faut de soldats de l’ombre, de transfuges et de soupçons tous azimuts), il y a la quête de sa propre identité, de sa propre grandeur dans un monde où rien n’est plus sûr, où rien ne peut s’établir franchement.
Si l’intrigue complexe, sur fond de guerre froide fantomatique, finit par laisser sur le carreau (par désintéressement ou par incompréhension), Alfredson cisèle en revanche sa forme et son style. La mise en scène est racée, maîtrisée dans ses moindres détails, la photographie superbe (comme délavée, poussiéreuse), l’interprétation hors pair (Gary Oldman, impérial) et la musique magnifique (Alberto Iglesias, toujours en grande forme). Rien de nouveau donc chez nos amis les espions, mais de quoi satisfaire, au moins, quelques belles envies de cinéma.
Tomas Alfredson sur SEUIL CRITIQUE(S) : Morse.