Sidonie Laborde est simple lectrice (et fine brodeuse) de la reine à Versailles, à l’aube sombre de la Révolution. Sidonie semble éprise de Marie-Antoinette (de la figure, du mythe, de la femme), elle-même éperdument amoureuse de la duchesse Gabrielle de Polignac, altière et mystérieuse (parlant peu, intrigant beaucoup, captivant follement). Quand sonne le glas et résonnent les cris, en ces heures furieuses de la colère du peuple et des têtes que l’on va couper, brandies ensuite au bout des piques, se grisent alors, pour une dernière fois, les désirs des uns, les envies des autres et toutes ces attentes languides, consumées bientôt par la fièvre et par la peur.
Pas de trois et valse des sentiments à la Cour, trio ardent de la lectrice, de la reine et de son amante, tandis que Versailles se flétrit vite (moustiques, eau croupie, rats morts), à l’image d’une bourgeoisie et d’une monarchie qui dépérissent, s’aveuglent à la "désplendeur" de leur crépuscule. Benoît Jacquot orchestre un ballet exquis et délétère autour d’une société égarée dans les tourments de l’Histoire et les affres de la passion. Entre vérités historiques et liberté fantasmatique (le saphisme supposé de Marie-Antoinette), Les adieux à la reine rejoue les jeux de l’amour et du hasard au château, dévoilant les lâchetés et les égoïsmes comme on met à nu les honneurs ou les corps, gracieux (de sous un drap ou d’une robe que l’on défait).
L’amour (Marivaux encore), cet émoi cruel, conduit jusqu’au sacrifice, celui de Marie-Antoinette se séparant à jamais de Gabrielle pour lui épargner l’échafaud, ou celui de Sidonie, témoin et victime de la gabegie royale, qui risquera sa vie pour sauver celle de la duchesse parce que la reine lui a demandé (ou plutôt lui a donné l’ordre, intime, qu’elle aurait bien dû refuser). Les passions s’exacerbent, puis deviennent un jeu de rôle(s) (Marivaux toujours), un subterfuge pour sauver la belle aimée, mais destituant l’autre qui n’aura (ne sera) plus grand-chose. "Adieu la plus tendre des amies ; le mot est affreux, mais il le faut ; je n'ai que la force de vous embrasser" : Marie-Antoinette se lamente d’une absence et d’un chagrin certain, sans connaître les outrages, les calomnies qui la guettent et l’attendront plus tard.
Mais fait étrange : davantage Versailles se vide, plus le film passionne moins (implacable arithmétique). Il se soustrait à son propre charme, à l’envoûtement qu’il procurait si bien ; on aimait au début le bouillonnement, les manières, les affections, les élans et les frous-frous. Tout était enlevé, urgent et même électrique, jusqu’à cette longue nuit de cauchemar dans les couloirs à la lueur des bougies où courtisans, valets et nobliaux circulent entre les portes, spectres fardés tout à leur inquiétude et à leur (vaine) survie.
Ensuite, le film perd un tantinet de sa superbe, comme mourant, son intérêt foisonnant s’oublie dans les longueurs de l’intrigue qui semble s’être paralysée, et le temps avec. Qu’importe : la mise en scène est alerte, fébrile, et Jacquot paraît s’amuser de zooms et de mouvements, de va-et-vient et d’une espèce de modernité jamais ostensible. Et puis il y a Diane Kruger, divine, et surtout Léa Seydoux, au doux visage éthéré, transi, énigmatique et dur aussi. Joli écrin de femmes (les hommes, ici, sont fats, vieux ou de la chair à pâtée que l’on abandonne dans les chambres) que Jacquot révèle dans une sorte de murmure secret, Les adieux à la reine a les atours séducteurs d’une gravure ouvragée, d’un plaisir offert, posé là pour les yeux et pour l’esprit.
Benoît Jacquot sur SEUIL CRITIQUE(S) : 3 cœurs.