Pedro Almodóvar l’a tambouriné un peu partout avec force gesticulations et roulements de R : il souhaitait revenir aux comédies débridées qui ont fait ses premiers succès à l’époque bénie de la Movida où prendre de la drogue, arborer une coupe punk et se travestir signifiaient vraiment quelque chose. Délaissant les œuvres plus sombres et plus tourmentées qui l’ont définitivement imposées comme auteur à part entière (il a eu droit à deux recueils de référence aux Cahiers du cinéma, genre la consécration quoi), Almodóvar cherche à retrouver la grande foire d’antan, la gloire pailletée et la fantaisie colorée des débuts, celles qui irriguaient ses passions labyrinthiques et autres défis matadors.
Point de nonnes hystériques, de filles du quartier ou de femmes au bord de la crise de la nerf, mais un trio de stewards plus drama queen tu meurs, deux pilotes pas à l’aise avec leur sexualité et quelques passagers peu farouches tout à leur vanité et leur ingratitude. Sauf que son coucou en folie et en danger suite à une défaillance technique, censé représenter la situation économique actuelle de l’Espagne en plein crash social et financier, a du plomb dans les ailes ; aucun personnage n’est vraiment attachant, et leur histoire personnelle encore moins dont la pertinence laisse franchement à désirer (toute la partie à l’extérieur de l’avion est totalement inutile), et jusqu’à saper l’ingénuité du film et ses possibles excès.
Et que dire de cet humour de vieille tata nymphomane qui pourra offusquer quelques bégueules mal embouché(e)s confondant encore sculpture sur bois et tailler une pipe… Parce que bon, il ne suffit pas de lâcher bite, nichon, couille et d’avoir du sperme au coin de la bouche pour faire rire les esprits chafouins. Le côté artificiel de la chose (des décors principalement), assumé et voulu par le réalisateur, séduit quand même beaucoup, prêtant au film une élégance maniérée plus surprenante que son sujet lui-même. Almodóvar, qui nous avait habitué à des récits gigognes complexes, a finalement bien du mal à structurer une intrigue linéaire (un comble) qui stagne et s’enlise pour finir en pauvre soirée mousse sur le tarmac digne d’une discothèque de province.
Au moins quand tout le monde prend de la mescaline et se noie dans l’alcool, ça devient un peu plus olé olé, transformant le zinc en baisodrome première classe (sans oublier la chorégraphie irrésistible sur le I'm so excited des Pointer Sisters). Perdre le contrôle, ne rien cacher et n’en avoir jamais assez, certes, mais alors il faut pouvoir le faire complètement, sans relâche, sans chichi et sans hésiter, contrairement au film qui semble ne pas vouloir aller aussi loin que ce qu'il envisageait. Un peu de kitsch, pas mal de queer et de n’importe quoi : Les amants passagers, confiné dans sa carlingue de luxe, carbure au champagne éventé et au délire ma non troppo. Un film en rut mineur qui nous laisse au ras des pâquerettes plutôt que de nous embarquer au septième ciel.
Pedro Almodóvar sur SEUIL CRITIQUE(S) : Étreintes brisées, La piel que habito, Julieta, Douleur et gloire, La voix humaine, Strange way of life.