Premier film trop remarqué, trop surestimé et trop surchargé de prix un peu partout (à Cannes, à Deauville, à Sundance…), Les bêtes du sud sauvage (quel joli titre !) est une espèce de fable initiatique, écologique et enfantine, mélangeant une certaine fiction du réel (Katrina, misère et dénuement social) à des fondations plus telluriques, plus improbables ; et quand cette putain de vie se frotte à l’imaginaire d’une sauvageonne, ça part forcément en vrilles (multicolores). On pense à Kirikou (l’héroïne du film est une petite fille espiègle, une "caïd", avec un papa malade et une maman disparue trop tôt), à Maurice Sendak (l’auteur de Max et les maximonstres) et à Miyazaki aussi : les aurochs géants, la nature enivrante et dangereuse à la fois, protectrice et destructrice, sans plus aucune limite dans ses déchaînements.
Une ambivalence qui vient rappeler que l’homme, tout minuscule ici et réduit à une cour des miracles prise dans les flots et la boue, a maintenant intérêt à filer droit pour ne pas précipiter sa chute (déjà bien entamée). Le film mélange beaucoup de choses à la fois, capharnaüm de bricole et de poésie, d’idées et d’intentions (des tempêtes cataclysmiques, des arches de Noé de fortune, des animaux partout et puis des monstres enfin, une espèce de sorcière et des breuvages mystérieux…), et si cette potion (magique) fonctionne pas trop mal, elle n’agit pas à chaque tour de bobine.
Ce fatras apocalyptique donne lieu à toute une féerie en vrac et bariolée (on peut saluer ce côté "à la marge" qui semble défier les marketings frileux et autres productions aseptisées), un bayou fantasmé où les ouragans meurtriers se métamorphosent en doux alizés invitant à une nouvelle existence. Être fier d’où l’on vient, fier de ce que l’on est, fier de ses racines, c’est le gentil message que transmet le film (en plus d’un laïus écolo-sucré), porté par le regard d’une gamine débrouillarde devant lutter contre les éléments, résister contre la mort, et dont la bonne marraine serait une prostituée à la poitrine opulente officiant dans un bordel étrange, au loin après l’horizon sur une mer qui s’est apaisée.
Malgré qu’il ne soit jamais démonstratif, jamais mièvre, toujours simple et follement lyrique avec des images parfois saisissantes et une jeune interprète incroyable (Quvenzhané Wallis) âgée de six ans seulement, il manque au film un petit (un grand ?) quelque chose, un réel sentiment de complétude et d’enchantement. Alors quoi ? Un peu trop de musique ? Pas assez de folie, de rythme soutenu ? Pas assez d’émotions qui laissent sur le carreau comme on voudrait l’être, genre décalqué dans nos sièges ? Benh Zeitlin a un maousse talent à revendre, clairement, mais on va plutôt attendre son deuxième film pour voir ce qu’il a vraiment dans le ventre.