Étrange affaire que Tarsem Singh connaisse enfin la consécration (aux États-Unis en tout cas ; en France, les critiques ne sont jamais tendres avec lui, beaucoup le détestent et peu le défendent) avec son film le moins "réussi" et le moins personnel. Mais les Américains n’étant pas à un paradoxe prêt, on ne sera pas surpris de la chose. Annoncé par les studios comme une suite non officielle de 300, Les immortels prend pourtant le contre-pied du film de Zack Snyder (très peu d’action) et d’un péplum historique sommairement revisité à la sauce numérique (on est loin de la laideur de Spartacus, la série). Singh a su créer, depuis The cell, un langage et un univers visuels bien à lui, univers qui lui permet, ici, d’aller beaucoup plus loin que le film de Snyder (en termes de qualités scéniques) et de transcender un scénario classique reprenant (trahissant) très librement le mythe de Thésée et la guerre des dieux de l’Olympe contre les Titans (appelée titanomachie).
Esthétiquement, Les immortels est une splendeur de tous les instants, et comme toujours chez Singh (dont la culture et l’inspiration artistiques semblent inépuisables), la beauté et l’arrangement des plans racontent autant que les intrigues ou les mots. Les esprits chagrins vilipendent sans cesse son esthétisme décrit comme stérile et désespérément tape-à-l’œil, alors qu’il participe entièrement à la construction fondamentale de ses films, conçus d’abord comme des œuvres d’art en mouvement, des tableaux vivants repensés, recomposés.
Tom Foden (pour les décors, et qui travailla avec Singh sur The cell) et Eiko Ishioka (pour les costumes) se sont une nouvelle fois surpassés, offrant des visions époustouflantes pleines d’incroyables contrastes de couleurs (se détachant sur des fonds monochromes), d’architectures audacieuses ou plus épurées, de motifs, d’ornements piochés dans la diversité du monde et ses richesses créatives (picturales, littéraires, ethniques). Loin d’une imagerie hollywoodienne classique, Singh est parvenu à imposer sur ce blockbuster (qui n’en est pas un) ses intentions, ses obsessions et un regard d’esthète érudit jamais rassasié (à la manière d’un Greenaway). Là où un Choc des Titans moche et vulgaire échouait à nous réconcilier avec la mythologie grecque, Les immortels y parvient avec succès en remixant à sa façon le folklore hellénique.
Certes, les légendes citées sont mises à mal (quand certaines sont habilement revisitées, comme celle du Minotaure, au look très impressionnant), mais elles permettent un enchevêtrement de scènes comme des enluminures d’antan qui font oublier des dialogues parfois lourds et des personnages peu développés. Henry Cavill, la star montante échappée des Tudors, s’en sort relativement bien pour son premier grand rôle au cinéma (en attendant Superman). Face à lui, Mickey Rourke, corps massif et voix rauque, en impose en roi cruel, et leur combat final à mains nues est assez bluffant. À la fois élégant et kitsch, inspiré et boiteux, Les immortels confirme le talent exceptionnel de Singh dans sa mégalomanie graphique, capable de sur-magnifier n’importe quel trou noir scénaristique.