Librement inspiré d’une nouvelle de Daphné du Maurier (qui ne reprendra de celle-ci que l’inexplicable comportement des oiseaux), Les oiseaux d’Hitchcock transfigure cette indicible peur émanant d’un quotidien devenu soudain menaçant, associée à celle d’animaux familiers métamorphosés en émissaires de l’Apocalypse. Les nombreuses interprétations envisagées (perturbation écologique, jugement dernier, manifestation de l’inconscient et/ou de pulsions érotiques…) ne doivent pourtant pas occulter le simple fait qu’Hitchcock a voulu, d’abord, mettre en scène un film de terreur pure pour épouvanter et frapper le spectateur ("Je crois que c’est le film le plus impressionnant que j’aie jamais réalisé", est-il écrit sur l’affiche).
Si la mise en place se révèle quelque peu fastidieuse, la suite, en revanche, s’attelle à parfaire un minutieux crescendo dans le suspens et même dans le spectaculaire (l’explosion de la station essence). Cela commence par une mouette attaquant Melanie (Tippi Hedren, très Grace Kelly et Kim Novak) pour finir en un déchaînement de violences. Deux scènes en particulier marquent les mémoires (et contribuèrent à la réputation du film à sa sortie) : celle à la sortie de l’école et celle dans le grenier.
La première parce qu’elle est un modèle de construction dans la tension (l’arrière-plan avec le regroupement progressif d’une centaine de corbeaux) puis dans la cruauté (l’offensive des corbeaux sur les enfants). La deuxième, souvent apparentée à un viol, voit Melanie se faire agresser par une nuée de volatiles surexcités, manifestation de sa culpabilité ou comme "punie" pour son péché de curiosité (celle d’être montée au grenier, lieu symbolique associé au savoir et à la connaissance). Cette scène peut, éventuellement, se lire comme un décalque de la scène de la douche dans Psychose (et fait très certainement dans ce sens par Hitchcock) : rapidité du montage, plans resserrés, plaies sanglantes et multiples coups de becs rappelant les coups de couteau de Norman Bates.
Elle suggère en tout cas ce qu’il est possible de comprendre dans Les oiseaux : une histoire d’envies et de refoulement sexuel (mais, là encore, c’est une interprétation tout aussi valable qu’une autre). À tenter ainsi d’analyser cette œuvre phare d’Hitchcock, il semble que Mitch Brenner, "unique" figure masculine du film, soit le catalyseur de toutes les discordes inconscientes des trois personnages féminins (alors répercutées, de façon allégorique, dans la colère des oiseaux) : le désir latent de Melanie, la jalousie d’Annie, avec qui il eut une liaison, et l’affection étouffante de Lydia, sa mère, qui rejette Melanie dès leur première rencontre.
Hitchcock, qui entretenait une relation tourmentée aux femmes (il était complexé par son physique), et surtout vis-à-vis de ses actrices aux beautés glaciales qu’il aimait magnifier, puis sadiser dans un même temps (et dont il tombait souvent amoureux : il déclara ainsi sa flamme à Hedren qui le rejeta), a peut-être projeté, dans le récit de du Maurier et le scénario d’Evan Hunter, ses propres lubies et fantasmes dans sa vision d’un monde réduit au village de Bodega Bay et à trois femmes "s’arrachant" un seul homme, monde tout à coup assujetti à de brusques instincts de mort, menace insaisissable et métaphorique dont la signification première n’appartiendrait, et pour toujours, qu’à Hitchcock lui-même, et qui déclara d’ailleurs, à propos de son film, "que le thème des Oiseaux est l’excès d’autosatisfaction qu’on observe dans le monde : les gens sont inconscients des catastrophes qui nous menacent".
Alfred Hitchcock sur SEUIL CRITIQUE(S) : Psychose.