Big love, après Les Sopranos et Six feet under, est la nouvelle, étrange et improbable série de HBO s’immisçant, une fois de plus, au cœur de la famille américaine. Fi des mafieux du New Jersey et des croque-morts de Los Angeles, c’est au tour des Mormons polygames de l’Utah de passer sous le microscope, personnages dont le quotidien, les coutumes et les croyances morales paraissent datées et peu sympathiques pour des athées européens. L’église mormone elle-même a condamné la polygamie malgré une tradition toujours persistante aux États-Unis au sein de la communauté. Sujet sensible en conséquence, mais traité avec adresse, retenue, drôlerie souvent, et porté par un casting incroyable.
La famille Henrickson, donc : un mari, trois femmes, sept enfants, et pas mal de problèmes. Tâches journalières et financières multipliées par trois (trois familles à nourrir et trois femmes à satisfaire à tous les niveaux), calendriers, organisations pratiques, susceptibilités, caprices, impatiences, menaces de la belle-famille intégriste, en plus d’une vie privée réprouvée à constamment dissimuler aux yeux des autres. La série fait la part belle aux trois figures féminines, touchantes, énervantes, chacune peut-être trop caractérisées dans leur façon d’être (la sereine, la stricte, la juvénile), et indépendantes malgré leur statut dans la hiérarchie des couples.
Si la série ne juge pas le mode de vie polygame, elle le remet toujours en question, souligne ses paradoxes et son côté parfois fondamentaliste. Bill et sa famille représenteraient la branche progressiste de la polygamie, en opposition à Juniper Creek, camp plus radical dans ses principes, sectaire et presque d’un autre temps ; Harry Dean Stanton, qui interprète le prophète effrayant de Juniper Creek, est saisissant de morgue et de terreur sourde. La série met également en avant le côté chaleureux et humain d’une famille nombreuse, "recomposée", où la religion et la foi ont une place particulièrement présente, voire aliénante par moments.
Les acteurs sont remarquables, la mise en scène léchée, le sujet intrigant, la patte HBO transparaît à chaque plan, pourtant l’ensemble souffre d’un manque d’enjeux, de présence et de rythme interne qui ne le rend pas complètement captivant. Big love se regarde sans déplaisir mais sans conviction, c’est une belle œuvre ciselée un peu ennuyeuse, languide, posée là comme un écrin délicat sans diamant à l’intérieur.