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Love and bruises

De l'amour et des bleus, frôlements et bruissements d'une passion bancale, totale mais de travers, jamais des mêmes tenants. D'ailleurs, ça commence plutôt mal entre Hua et Mathieu, par un coup au hasard, une rencontre pas évidente, une drague pas terrible, un échange de téléphones, puis plus tard une étreinte sauvage sur un chantier comme un viol. Il l'aime mal, il l'aime trop, beaucoup trop, quitte à vouloir se balancer par la fenêtre si elle veut le quitter. Il est jaloux, impulsif, s'embrouille, la jette en pâture à un pote qui tente de la violer pour la "tester", la traite souvent de salope. Elle est aventureuse, se laisse faire, s'abandonne et donne tout, ne veut rien contrôler, l'aime apparemment, semble ne jamais vouloir se décider, en amour comme parmi le monde (elle vient de Pékin, vit à Paris, y retourne, puis revient en France avant d'aller se marier en Chine). Ils se comprennent rarement, se parlent peu, baisent principalement.

Leur couple étrange, brut, antagoniste sur tout (c'est une intellectuelle, c'est un prolétaire), toujours en porte-à-faux, est fait d'énergies contraires (dévastatrices aussi) qui finissent par imploser, et que Lou Ye parvient à capter dans la pleine émanation de leur fracas. Love and bruises est un film bizarre, hachuré, rare à définir et à contenir. Tels ses personnages, il semble ne pas vouloir se raisonner, n’en fait qu’à sa tête, ne veut pas être aimé correctement. La mise en scène est fiévreuse, à l'épaule sans cesse, qui cadre, qui décadre, qui recadre, qui floutte ou qui s'emballe à la vue de ces deux-là n’offrant que des râles et des cris pour s’entendre.

Elle peut agacer très vite et très facilement (elle y parvient parfois quand elle cherche un peu trop à jouer la carte d’un certain réalisme cru, brouillon), mais elle s'attache si absolument à Hua et Mathieu (comme si elle les avait dans la peau) que ce tourbillon formaliste finit, imperceptiblement, par nous engloutir. La régularité et l'insistance des scènes érotiques créent un malaise, un vacillement de nos perceptions face à ces deux êtres désarçonnés, déracinés. Ni hot ni glamour ni excitantes, elles explorent davantage l'aspect banal et répétitif (désespérément humain) qu'est le sexe entre Hua et Mathieu (et ce qu'il est devenu). On pense alors à Chéreau, à ce côté heurté et foncièrement complaisant (voir Persécution) qui, ici, questionne (mais sans jamais y répondre) le désir et la mécanique d’une idylle bâtarde.

Corinne Yam (énigmatique, impénétrable) et Tahar Rahim (bouillantissime, contradictoire) se partagent affres, caresses et halètements avec une belle intensité, amenant leur personnage vers des contrées amoureuses singulières, de Paris à Pékin déployées en de larges travellings aériens comme des rayures magnifiques, des griffures de villes. Lou Ye filme ainsi les capitales et les corps, à l’arraché, en clandestin (ce qu’il est dans son pays en tant que réalisateur dissident), comme il l’avait fait à Shanghai dans Suzhou river ou à Nankin dans Nuits d’ivresse printanière. Des abords pas toujours évidents, désordonnés, très rêches, font de Love and bruises une œuvre que l’on rejette dans ses premiers instants, puis qui se coule en nous sans que l’on puisse y faire grand-chose.


Lou Ye sur SEUIL CRITIQUE(S) : Nuits d'ivresse printanièreMystery.

Love and bruises
Tag(s) : #Cinéma asiatique

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