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Miss détective

Les inavouables 6/7 - mymp


Quel âge avais-je donc quand j’ai vu ce machin ? Je pourrais, très facilement, écrire que j’étais jeune et fou, ado boutonneux et tout graisseux pas encore au faîte de sa sexualité cinéphilie et, de la sorte, me dédouaner d’apprécier un navet pareil, mais non, non et non, j’avais à peine 30 ans, j’étais (encore) sain d’esprit et l’avenir me souriait à pleines dents. Il a dû se passer quelque chose dans ma vie à cette époque-là pour que j’en arrive à (me) dire que Miss détective est une comédie fort sympathique et le conseiller à des amis qui m’en ont voulu à mort après et qui m’ont, depuis, fait jurer de ne plus jamais les appeler ni les voir ni m’approcher d’eux à moins de trois cent mètres. D’autres encore, ne l’ayant toujours pas vu et résistant avec fermeté à mes assauts obsessionnels, m’ont clairement fait comprendre qu’ils préféraient subir une coloscopie ou vendre un rein sur le marché noir plutôt que de voir cette merde.

Je ne comprendrai jamais (jamais ?) un rejet si brutal et de telles gausseries à l’encontre de ce film certes peu finaud, on est d’accord, mais délicieusement appréciable grâce à son casting qui se prend au jeu avec un évident plaisir. Candice Bergen est une exquise Geneviève de Fontenay psychorigide et froide (mais sans chapeau ridicule), William Shatner une espèce de Jean-Pierre Foucaud encore plus ringard (si c’est possible) et Michael Caine enfin est absolument génial en vieille tata mondaine faisant du gringue au beau gosse Benjamin Bratt. Incarnant à merveille Victor Melling, "consultant" en concours de beauté (avec tout ce que le terme a de vague et de ronflant), taré perfectionniste menant ses élèves au bord de l’hystérie, il traverse le film en passant son temps à balancer vacheries sur vacheries à une Sandra Bullock qui s’amuse comme une folle (et en redemande, la bougre ; pour preuve, une suite sera tournée).

Elle est Gracie Hart, agent du FBI tout sauf féminine, véritable garçon manqué avec un punching ball suspendu en plein milieu de son salon, qui rigole en grognant, boit de la bière et s’habille comme un sac. Pour les besoins d’une enquête, elle doit infiltrer le concours de Miss États-Unis, et donc se transformer en nunuche sophistiquée (rebaptisée Gracie Lou Freebush), apprendre les bonnes manières, à se féminiser aussi, à se maquiller, à caqueter, porter des robes et marcher avec des talons hauts (sous le patronage très strict de Victor, évidemment). Les dialogues acerbes, les piques fielleuses et les tentatives de leçons de gracieuseté entre Victor et Gracie sont évidemment THE ressort comique du film. Le décalage entre la distinction, la préciosité de Victor, et la vulgarité crasse de Gracie fait des étincelles en permanence à coups de sarcasmes, de piques bien senties et d’ironie mordante.

Ainsi, découvrant Gracie la première fois, Victor lui dit, les yeux terrifiés : "Si vous êtes Gracie Hart, j’abandonne sur-le-champ. Je ne fais pas de miracle". Puis, plus tard, la regardant marcher dans la rue : "Je n’ai pas vu une démarche pareille depuis Jurassic Park". Ou encore, s’apercevant que Gracie n’a aucun talent à présenter sur scène : "Quand comptiez-vous nous révéler votre talent ? En mâchant un chewing-gum la bouche fermée ? En transformant de l’oxygène en gaz carbonique ?" (vous ne riez pas ? C’est normal). Et quand Gracie, à bout de nerfs après une éreintante leçon de "Comment sourire en société et sur scène ?" (et n’y parvenant pas), avoue à Victor qu’elle rêve de le torturer à mort, celui-ci, plein d’une suavité moqueuse, ne trouve rien de mieux à lui dire que "Du moment que vous souriez".

Entre répliques grasses et humour camp, scènes désopilantes et mise en scène inexistante, Miss détective trouve sans problème son chemin vers le panthéon des comédies U.S. mainstream qu’on regarde avec une joie coupable sans se soucier de sa moindre valeur (quand il y en a une). Et puis ça fait tellement chic de balancer dans une soirée, négligemment et d’un air plutôt blasé, que l’on aime autant regarder Miss détective que Le cheval de Turin de Béla Tarr ou l’intégrale de Sharunas Bartas (extase et déférence garanties dans l’assistance)… Miss détective, c’est le genre de comédie bête et méchante, à l’instar de Dodgeball ou du Père Noël est une ordure, que je peux re-re-re-revoir sans flancher et sans me lasser.

Et puis franchement, rien que pour la scène à la Étoffe des héros où Gracie, après une nuit entière de relooking extrême au pas de charge (détartrage sauvage, manucure intensive, débroussaillage capillaire à tous les niveaux, etc.), sort d’un hangar au ralenti (sur le bien balancé Mustang Sally des Commitments) avec le staff de Victor en arrière-plan, métamorphosée en parfaite bombasse, tout ce bazar bien neuneu (qui, mine de rien, se fout ouvertement de la gueule de ces concours de beauté abrutissants et superficiels, remember le perfide Belles à mourir) mérite finalement un peu d’estime et autant d’amour. Si vous n’avez rien d’autre à faire un dimanche après-midi de pluie qu’à traîner désespérément sur Internet, voilà donc une activité bien plus stimulante et bien plus utile à votre désarroi existentiel.

Miss détective
Tag(s) : #Cycles

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