Intéressante adaptation d’une nouvelle de Stephen King qui vaut surtout pour son refus du spectaculaire (trois scènes "d’action" seulement sur deux heures de film) et son approche presque entomologiste d’une civilisation réduite à ses derniers retranchements. Un semblant de panel sociétal se retrouve bloqué dans un supermarché tandis qu’une brume étrange envahit la région, abritant d’horribles chimères sanguinaires ; schéma classique du huis clos oppressant révélateur des comportements les plus bas et les plus vils de l’homme ("L’enfer, c’est les autres"). David Drayton (Thomas Jane, quelconque) résume d’ailleurs assez bien la situation en milieu de film : "Les gens sont fondamentalement bons et civilisés tant que tout fonctionne. Mettez les gens dans le noir, foutez-leur la trouille, supprimez les règles, et ils redeviennent primitifs". Raccourci presque trop simpliste, mais incontestable dans sa démonstration et dans (triste) sa réalité.
Ce ne sont pas poulpe géant et autres sauterelles tueuses qui effraient réellement (les scènes avec les monstres ne sont pas les plus réussies ni les plus convaincantes), mais cette bêtise ordinaire révélée dans toute son atroce inaltérabilité. Et pire encore, il y a cette arrogance religieuse brandie comme une panacée miracle à tous les maux spirituels, malsaine de par son fanatisme, son acharnement psychologique et son hypocrisie infecte. Marcia Gay Harden, remarquable, incarne sans effort cette bigote terrifiante aveuglée par un soi-disant message de Dieu ; ce personnage, fascinant dans sa démesure, permet à Darabont d’établir, entre créatures de l’enfer et rémission de notre humanité, une critique engagée et enragée (manquant peut-être d’un peu de subtilité) sur une religion de masse désespérément aliénante.
Formellement, Darabont débarrasse son film de presque toute sujétion aux clichés du film d’angoisse : pas de musique persistante appuyant chaque émotion, chaque impression, une mise en scène classique aux allures parfois documentaire et une fin abrupte sans compromis. Seuls les effets spéciaux laissent un goût d’inachevé ; il est d’ailleurs paradoxal que Darabont se soit fourvoyé dans un rendu numérique approximatif quand la séquence d’ouverture de son film laisse à voir ostensiblement le visuel de l’affiche de The thing (1982), dont les effets spéciaux "mécaniques" de Rob Bottin atteignaient, eux, à une beauté effroyable et prodigieuse. Pourquoi Darabont a-t-il préféré des images de synthèse médiocres à de beaux effets spéciaux à l’ancienne pouvant rendre hommage au film de Carpenter ?
À noter cependant que la version noir et blanc, proposée sur le double DVD, est nettement plus appréciable que celle en couleurs. Le noir et blanc accentue sensiblement le sentiment de peur et de claustrophobie recherché par Darabont, et convient davantage aux effets spéciaux qui paraissent ainsi moins imparfaits. Dernier point : cette histoire d’ouverture sur une autre dimension, laissant toute latitude à des êtres effrayants, rappelle l’intrigue du magnifique Roadmaster (From a buick 8) écrit par King en 2002 et prochainement adapté au cinéma par Tobe Hooper.