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The murderer

Après le choc, après la claque sensationnelle que fût, en 2009, The chaser, Na Hong-jin récidive dans le très haut de gamme avec une œuvre plus puissante, plus ébouriffante encore que le film qui le fit connaître sur la scène internationale. Reprenant les deux mêmes interprètes que The chaser (Ha Jeong-woo et Kim Yoon-seok, intenses) tout en inversant leur rôle, Na Hong-jin déploie cette fois son incroyable savoir-faire au service d’un nouveau thriller complètement étourdissant, jeu de massacre(s) ahurissant comme on n’en a pas vu au cinéma depuis longtemps. The murderer démarre pourtant de façon très nonchalante, mais sa première demi-heure serait finalement comme un leurre, un guet-apens habile ne nous préparant en rien aux deux heures suivantes, chaos purement dantesque venant échauffer nos carcasses et nos envies de folies furieuses.

Le film est une escalade, une promesse tenue, une surenchère inexorable en quatre segments alternant, dans sa dernière heure, tueries sanglantes, poursuites endiablées et cauchemar sans fin. Au-delà d’une violence bouillonnante, jamais complaisante et atteignant, maintes fois, une dimension quasi surréaliste (tout le monde semble increvable, paraît survivre à tous les coups portés, coups de haches, de lames, de marteaux et même ceux d’un os), The murderer observe, entre Chine et Corée, la déchéance d’un monde au bord du gouffre où les hommes, riches ou miséreux, puissants ou simples parias, s’entredévorent comme des chiens et s’entretuent sans rien embrasser de leurs crimes.

Le cinéaste mélange les géographies et les villes, les noms et les récits (il faut ne pas lâcher prise pour pouvoir tout saisir jusqu’à la fin), et les genres aussi (satire, polar, action) à la manière d’un Bong Joon-ho plus talentueux encore. Na Hong-jin élabore des changements traînants puis s’amuse de mouvements impétueux, règle des chorégraphies piquées de corps (malmenés le plus souvent) gravitant autour d’un seul et même lieu : la mer Jaune (The yellow sea, titre original du film), mer de tous les trafics et de tous les possibles, zone étrange comme un trou noir où l’on peut disparaître en un instant, englouti par les flots ou anéanti lors d’une traversée clandestine telle une virée en enfer.

L’histoire ? Gu-nam, chauffeur de taxi chinois criblé de dettes, abandonné par sa femme et éloigné de sa fille, accepte le marché de Myun, parrain local, pour repartir à zéro : contre une importante somme d’argent, il doit aller tuer un homme à Séoul dont il ne sait rien, puis revenir. Évidemment, tout ne se passera pas comme prévu, Gu-nam se retrouvant pris au piège d’un engrenage infernal où tous les personnages se mettent à cavaler, à grogner, à saigner, se cognent puis s’élancent vers un destin flou et heurté. Gu-nam, Myun, la police, la mafia : chacun court après un autre, traque un fantôme, une ombre ou un souvenir. Chacun s’agite, tente de survivre, d’aller jusqu’au bout de ses intentions et de ses illusions.

Le film brasse très large (tout en ménageant une parfaite unité synoptique), du plus intime à la réalité d’un amer constat social (précarité, délinquance) en passant par un spectaculaire tendu et jouissif. À l’image du percutant final dans The chaser, The murderer regorge ainsi de plusieurs moments d’anthologie, dont une poursuite à la hachette et au couteau dans une coursive de bateau qui n’est pas sans rappeler celle (au marteau) dans Old boy, puis se continuant dans l’eau, puis à pied, puis en camion, puis en voiture, avant de se terminer par un prodigieux carambolage.

Le film aura, forcément, ses détracteurs : trop long, trop gore, trop n’importe quoi. Tant pis pour eux. Entre rouge sang et humour noir, journées grises et nuits blanches, The murderer dispose ses pions en grand tacticien du désordre et prenant, dans ses tous derniers spasmes, des allures de tragédie enragée, bouffonne et moderne. C’est du cinéma électrique et agressif, doté d’un vrai sens de la mise en scène et d’une énergie soigneusement mesurée dans son rythme et dans son montage. On sort du film à bout, exténué, éprouvé par l’art brutal et magistral de Na Hong-jin, et sans même plus savoir à quelles effusions délirantes on vient d’assister, pourtant rivées à nous pour pas mal de temps.


Na Hong-jin sur SEUIL CRITIQUE(S) : The chaser, The strangers.

The murderer
Tag(s) : #Cinéma asiatique, #Cannes 2011

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