Abordant notre avenir (et notre présent désormais) sans excès de technologie ou de délires futuristes, Never let me go parle du clonage et du don d’organes avec extrême douceur, lente poésie, esquissant quelques interrogations par rapport aux limites, à l’éthique de la science et de la médecine moderne. Le film, clairement, semble ne rien vouloir dire (et encore moins dénoncer) ni prendre position sur la question, car son thème essentiel vise autre chose ; il est, avant tout, celui de la vie, la nôtre face à la mort (choisie ou endurée), du temps qui passe vite (hier, aujourd’hui, demain) et de l’amour. Mais sur un sujet aussi grave et aussi épineux, on pouvait espérer davantage qu’une simple bluette adolescente digne d’un roman-photo pubère, évanescent, qui préfère trop souvent la sensiblerie à la profondeur.
Si l'on excepte la dernière demi-heure, bouleversante, tout reste gentillet, inabouti, assez pauvre scénaristiquement (je t’aime, je t’ai trahi, je te pardonne…), mais sauvé par une jolie interprétation et une mise en scène délicate (chichiteuse ?) qui sait magnifier le moindre des paysages (la campagne anglaise n'a jamais été aussi belle), le moindre des nuages et le moindre des regards. Kathy, Ruth et Tommy, programmés à court terme pour mourir et pour sauver des vies (trois dons d’organes puis c’est la mort, attendue comme une sorte de délivrance), sont des clones anonymes élevés en retrait du monde, et conscients enfin de leur destin, de leur condition purement médicale (et non pas humaine).
Cette acceptation terrible et triste (aller à l’abattoir sans relever la tête), cette résignation ne souffrant d’aucune remise en cause (de son être et de son existence), ont quelque chose de gênant, et presque d’énervant. La vie ne vaut-elle pas de se battre au moins à un moment, et tant pis s’il est infime, pour soi et même (surtout) par amour ? Y a-t-il plus à donner qu’un legs de sa chair et de ses entrailles ? Est-ce un sacrifice dont on ne cherche pas à appréhender la valeur et duquel il serait possible d’en déduire sa place tangible, authentique dans la société ? On pourra parler aussi d'innocence et de pureté, d’un état sublimé pouvant toucher au christique (prenez, ceci est mon corps) et au martyr.
Dommage que ces pistes, que ces points brûlants ne soient pas suffisamment développés au détriment d’une love story fadasse accompagnée de violons qui finissent sérieusement par agacer. Dommage également de ne pas avoir exhorté, poussé plus loin cette idée que l'amour (et l'art éventuellement, ici telle une symbolique de l’âme) peut sauver, au moins retarder l'inéluctable (mais c’est, évidemment, un autre film et une autre histoire). L'émotion s’immisce uniquement sur la fin lors de cette scène touchante et cruelle quand, chez Madame, Kathy et Tommy réalisent qu'il n'y a pas d'échappatoire promis.
Là, enfin, l'affolement tant souhaité et qui manquait au film surgit, saisit, jaillit comme un diable (extraordinaire visage de Carey Mulligan, résignée et souriante à la fois) pour finalement exploser lors d’un dernier cri déchirant dans le noir du crépuscule. Baigné d'une lumière chaude et un peu passée (la photographie d'Adam Kimmel est magnifique), rythmé par une lancinante mélancolie, Never let me go évoque, sommairement, notre déshumanisation consentie, admise, tout en privilégiant les élans amoureux et la recherche d’un futur perdu.