Fellini et son Huit et demi sont dans un bateau, passés à la moulinette de Broadway et au rouleau compresseur d'Hollywood : que reste-t-il après deux heures d’un spectacle neuneu dont le charme et la subtilité seraient équivalents à ceux d’un pachyderme éméché sachant faire de chouettes entrechats ? Pas grand-chose, éventuellement un casting qui balance plutôt bien des hanches et de la cuisse (Penélope Cruz et Kate Hudson s’en sortent haut la jarretelle), de jolis décors qui font aimer davantage l’Italie et un scénario très con qui permet de repasser son linge ou lire l’intégrale de Kant en même temps (c’est pratique). C’est que, le plus souvent, on se croirait tout de même devant sa télé à mater Dancing with the stars ou So you think you can dance, version cinéma Deluxe ; c’est tout aussi ringard et kitsch, plombé avec superbe par des chorégraphies moins excitantes encore qu’un madison ou un Paso doble dans un centre de gériatrie.
Quand on voit ce que Lars von Trier (Dancer in the dark), ou même Christophe Honoré (Les chansons d’amour) et, plus récemment, la série Glee, ont été capables de faire d'un musical en dépassant, en réinventant presque le genre, on reste atterré et attristé par tant de conformisme grumeleux, influence Broadway ou pas (Broadway qui n’a, de toute façon, jamais brillé pour sa finesse). L’intrigue, elle, ne vient pas vraiment sauver Nine du fiasco et du flop, chronique simpliste (et limite conservatrice, le seul salut venant de la pénitence, de l’abstinence et de l’amour unique de sa femme) d’une "imagination" au travail, d’un artiste en panne cherchant l’inspiration dans les femmes qu’il aime ou qu’il idolâtre, dans ses chimères aussi, ses fantaisies et ses souvenirs d’enfance. Le niveau psychologique atteint celui d’un roman de gare vendu dans un aéroport ou aux toilettes du Lido, il y a de la mise en abîme pour faire smart, des références pour faire hype, genre Fellini pour les nuls et La nuit américaine de Truffaut.
Chacune des actrices a sa minute de gloire et de paillettes, de jeux de jambes et de chansonnette poussée (Marion Cotillard a même droit à deux passages, la coquine), la maîtresse, la femme, la confidente, la mama, bref toutes les muses de Guido Contini, figure sans recul et cliché à trois millions de dollars du metteur en scène face à ses choix, ses plans cul et ses angoisses, et ne parvenant plus à faire la part des choses entre cinéma et dolce vita. C'est ennuyeux à mourir et il est difficile de se passionner pour ce machin qui se traîne et se traîne encore… Les chansons sont sans intérêt, trop typiquement broadwayiennes pour surprendre, avec cette méchante impression de "déjà entendu" parmi la pléthore de comédies musicales bas de gamme qui pullulent encore à Londres ou à New York (Cats, The phantom of the opera, etc.). Tout est gentiment agréable à l'œil, mais sans rien d’autre, hélas, pour ravir les tympans ou méduser la cervelle.