D’abord il y a Rémy, grand enfant un peu perdu, un peu benêt, à la sexualité imprécise, aime-t-il les garçons, veut-il embrasser des filles, brimé de partout, sa mère, sa sœur, les autres, mais gare, une révolte gronde sous son crâne. Puis il y a Patrick, dandy des provinces qui déclame de la tirade (et quelle tirade !) à la nuit tombée, nihiliste quand ça lui chante, volant dans les plumes, cherchant du respect, des choses qu’ils souhaitent offrir, mais sans savoir à qui, sans savoir vraiment lesquelles. Leur route se croise, ou plutôt non, leur route s’aligne, en parallèle. Une rencontre électrique, un couple improbable, amis ou amants, oncle et neveu, père et fils, où l’un a besoin de l’autre pour approcher son impossible quête.
Notre jour viendra va là où bon lui semble, déboule vers nulle part, dessine une boucle, n’en fait qu’à sa guise tout en étant parfaitement maîtrisé. Le film serait comme un geste artistique et éphémère, symbolique, sans intention particulière de dire ou d’expliciter ou d’épargner qui que ce soit (arabes, juifs, gays, tout le monde a droit aux sarcasmes), sinon celle de poétiser, de décaler un quotidien, d’exacerber des émotions et des sensations premières. Juste un geste, instinctif, qui prend de la hauteur, qui s’élève, littéralement.
Une voiture brûle, une petite rousse danse dans un salon, les cheveux se rasent, les plages se dégagent, s’offrent, on partouze… Le film cultive un aspect joliment surréaliste et en roue libre, c’est une escapade (initiatique ?), une croisade contre la monotonie, le normal et l’ennui. Mettre de la vie, quitte à la bousculer. Une rébellion aussi, mais contre quoi ? Du vent, des plaines herbeuses, des paysages industriels gris et immenses, des gens qui préfèrent se taire ou se laisser faire (les scènes, incroyables, du jacuzzi et du mariage).
Notre jour viendra sait faire du bien ou peut rebuter, au choix, par cette absence de repères, presque de morale et d’histoire où le temps est une figure invisible, où les actes interrogent davantage le désespoir de deux êtres à la dérive que le sens premier, fallacieux, dont ils peuvent se garantir. Romain Gavras se refuse à donner trop facilement les clés du pourquoi, s’amuse d’un road movie en vrille qui finit par s’envoyer en l’air ; le film suit une trajectoire, un but, tout en privilégiant les écarts.
Cassel et Barthelemy assurent comme des bêtes, chacun dans leur registre et chacun à leur manière, sont attachants, parfois trop cons, compères à la vie à la mort, genre Don Quichotte et Sancho Panza, Batman et Robin, Daft et Punk. C’est par leur incessante interaction, rêche ou plus douce, que naît l’humour si particulier du film (mais aussi sa violence). Brut et stylé, Notre jour viendra griffonne, au charbon et à coups de sang, la vague utopie d’un autre monde où l’on se sentirait mieux, à sa place et comme on veut ; une terre de rêve idéale.
Romain Gavras sur SEUIL CRITIQUE(S) : Le monde est à toi, Athena.