Le film de James Gray a souvent été comparé à une tragédie shakespearienne ; il semblerait plus juste de le rapprocher d’une tragédie biblique où la quête de rédemption sert d'inspiration à une intrigue classique de démantèlement d’un gang. La description du milieu mafieux russe est d’ailleurs beaucoup plus convaincante et éprouvante que ce qu’en faisait David Cronenberg dans Les promesses de l’ombre, et Vadim Nezhinski est mille fois plus inquiétant que Semyon et Kirill. L’aspect "sacré" du film permet à Gray d’élaborer une métaphore sur le pardon et le rachat tout en conservant, en apparence, les codes d'un thriller noir ; la scène érotique qui ouvre le film rappelle l’acte originel consommé par Adam et Ève (avec la descente aux enfers qui s’ensuit), la boîte de nuit El Caribe (Les Caraïbes, idée du paradis perdu) peut être vue comme le Premier Temple, les deux frères comme Abel et Caïn, le déluge prend la forme d’une poursuite magistrale sous une pluie battante, l’enfer et l’apocalypse sont symbolisés par les marais en feu, Judas par Marat Buzhayev et le diable par Vadim (avec sa longue queue de cheval et son regard noir).
Tous ces signes, toutes ces correspondances participent ainsi à transcender un polar traditionnel, habité et sobre. Plusieurs scènes sont remarquables : la poursuite en voiture, brutale et silencieuse (rythmée par le simple bruit des essuie-glaces), grand moment de terreur anti-spectaculaire, ou la visite du laboratoire secret de Vadim, séquence au suspens dépouillé débouchant sur une sanglante fusillade.
Sous les conventions du genre, Gray raconte le parcours initiatique d’un homme vers l’expiation sans que celui-ci ne parvienne, en fin de chemin (de croix), à trouver l’absolu et la délivrance. Le dénouement n’est pas moralisateur : on a davantage l’impression que Bobby s'engage dans la police par dépit et furie vengeresse que par devoir et valeur. Son regard perdu lors de la cérémonie finale traduit bien cet égarement psychologique ; Bobby n’a pas atteint la sérénité, mais semble plutôt abandonné dans un purgatoire de sentiments contradictoires. Il manque à l’ensemble du film (très bon) un soupçon d’énergie et de puissance, un petit quelque chose d'essentiel, une étincelle qui aurait pu le faire s’embraser complètement pour en faire une œuvre ample et consumée par la grâce.
James Gray sur SEUIL CRITIQUE(S) : Ad astra.