Vingt-quatre heures de la vie d’un homme. Vingt-quatre heures dans la vie d’Anders, ancien toxico bobo qui tente de reconstruire quelque chose, un amas solide, compact. Un socle. Une existence plus sereine après la débauche, les fièvres et les abîmes qui l’ont vu se démolir, mais qui n’ont rien dit. En soi, ce serait un travail, un appartement, être en couple, ces choses ultra-logiques, ultra-normales autour de lui et que les autres ont, et que lui voudrait, mais en est-il encore sûr ? De son errance solitaire dans un Oslo aux senteurs de fin d’été, quand la lumière est plus basse un peu plus tôt, de cette flânerie douce dans les rues, dans les jardins et sur les boulevards, par-delà les décombres de sa jeunesse démantibulée avant, brûlée trop vite, déchirée par l’alcool et les soirées et les drogues et les filles, de cette errance donc, Anders cherche des réponses. La vibration d’un pardon, d’un rachat qu’une force lui octroierait.
Oslo, 31 août est un film lumineux, humble et sans pathos. Sans effets, sans fureur, d’une justesse désarmante et bouleversante. Joachim Trier, adaptant librement Le feu follet de Pierre Drieu La Rochelle, sculpte une œuvre minutieuse irriguée d'un rythme vagabond, bavard et sensitif, pas évident dans ses premières minutes. Grâce mélancolique et tragique d’une journée ordinaire, magnifiée par un acteur prodigieux (Anders Danielsen Lie), touchant à un point, regard sec et triste dans ces yeux grands ouverts (et nostalgique aussi d’un amour perdu, de javas défoncées…) où toute la vulnérabilité, toute la honte régurgitée de sa "condition" se lit en grands élans.
Et de cette condition, de celle-là seule, Anders voudrait s’en délier, s'en extraire, y ressurgir tel un Phénix quand pourtant elle ne lui renvoit à la figure que les doutes, que les déceptions de cette vie à laquelle il voudrait s’abandonner et goûter un peu. Et de cette masse humaine charriée sans cesse, ce souffle court, l’avenir paraît vouloir saper tous les espoirs permis, les besoins ténus, et ce revers intime est plus déchirant, plus cruel que tous les rivages en partance. Un ami marié avec deux enfants, avouant la monotonie de son couple. Une sœur qui ne veut pas le voir. Une ex négligeant ses suppliques. Une autre amie qui vieillit et qui a peur de ça, vieillir. Des anonymes aussi qui semblent indécis, seuls, perdus, avec trop d’envies, trop de soif, trop de rêves, envolés et impossibles. Soudain, le vide.
Film en équilibre, désossé et fragile, Oslo, 31 août a la texture délicate d’un voile qui s’est sali, d’un sombre linceul agité au vent. Trier et son acteur nous amènent loin, archi loin, au gré régulier de scènes magnifiques : celle de la rave, énergique et sensuelle sous les heurts des stroboscopes, celle dans le café où, aux alentours, Anders perçoit les conversations et les rires des gens, les trajectoires des passants, les attentes de chacun. Et celle de la promenade à vélo, à l’aube dans quelques volutes blanches d’un extincteur, éphémère et sublime, suspendue dans l’air du temps, quasi magique, tel un bonheur vague et lointain qu’Anders ne peut saisir, s’écroulant comme s’écroulent un immeuble, des châteaux en Espagne.
Un lever de soleil, l’heure des bilans et des décisions, des plongeons dans la piscine, des échos, puis un dernier sourire dans ce bel éclat doré de ce mois d'août qui va s'achever. Sourire désolé, sans vigueur et qui fait mal (à lui, à nous). Des notes de piano gauches dans une maison qui se vide, laissée à des objets sans plus d’importance, meubles, tableaux, livres, des rideaux tirés, puis replonger dans ses failles, retourner à l'oubli, effroyables remparts au monde. Puis le film s’en va à rebours, montre les lieux qu’Anders a visités, ceux où il a été, où il s’est assis, où il s’est allongé, ces lieux maintenant vidés de lui. Un café, un parc, un banc, un lac, sa chambre… Puis le noir enfin, terrassant. Et une certitude alors : de là où il est, Anders nous hantera pour très longtemps.