Le titre résonnait déjà comme une large, comme une étincelante promesse, nous rappelant ces titres affolants et sibyllins (Obsession, Pulsions, Body double...) qui hantent désormais la filmographie de Brian De Palma et qui, eux-mêmes, rappellent le meilleur de ce qu'il a pu faire avant (meilleur que l'on n'a pas vu depuis longtemps, depuis Snake eyes en fait en 1998). L'histoire aussi, adaptée du moyen Crime d'amour d'Alain Corneau sorti il y a trois ans, présageait stupeurs et tremblements (meurtres, manipulations et lesbianisme), typique des années folles de De Palma où celui-ci, pour le pire ou pour le meilleur, mariait comme personne mauvais goût et grandes scènes opératiques, psychologie de bazar et scénario alambiqué.
Au final, une promesse à moitié tenue : Passion est un film inégal, étrange et désaxé, une espèce de chimère à deux têtes. La première partie est particulièrement fade, limite ringarde, quasi grotesque par instants ; il ne s’y passe pas grand-chose, sinon la logique seule d’une mise en place classique, que ce soit dans l’histoire (même si l’on sent déjà que quelque chose se dérègle, se trouble quand Isabelle ne cesse de se réveiller), à l’écran (Rachel McAdams et Noomi Rapace sont comme déphasées, jamais dans le ton) et dans la mise en scène, un comble tout de même pour De Palma avec lequel on s’attend au moins à du virtuose, à de l’élégance quand sa réalisation s’approche, ici, de celle d’un mauvais téléfilm (était-ce trop d’espérer tant un thriller fétichiste et sulfureux, pervers à dessein ?).
On croit défaillir, puis soudain tout s’emballe. De Palma, roi du split screen (comment ne pas oublier ceux de Carrie ou de Phantom of the paradise ?), ne manque pas à sa réputation et en propose un de plusieurs minutes lors de la scène pivot du meurtre/ballet. C’est un autre film qui peut alors commencer. La lumière s’assombrit, striée souvent, hachurée, la musique devient plus hitchcockienne, l’intrigue se déploie par boucles et par échos, par évidences et par rêves, pour devenir, dans ses cinq dernières minutes, un bel objet fantasmatique rappelant Mulholland Drive dans l’image vivace du couple Christine et Isabelle (la blonde et la brune qui se désirent, qui s’attirent puis se détruisent), et posant là sur nos lèvres davantage de questions que d’implacables certitudes.
Épaulé par le magnifique travail de José Luis Alcaine (collaborateur habituel de Pedro Almodóvar) à la photographie et de Pino Donnaggio à la musique (qui travailla jadis pour De Palma, notamment sur Carrie, Blow out et L’esprit de Caïn), De Palma livre une étrange variation sur l’amour et le double, le regard et le pouvoir (quelques-uns de ses thèmes de prédilection), en s’appropriant le scénario de Corneau, d’abord sans en faire quoi que ce soit, puis le triturant à sa guise jusqu’à en bouleverser la finalité (tant mieux pour ceux qui connaissaient déjà les ruses de Crime d’amour). De Palma, qui sans cesse a cité, a copié, a vénéré Hitchcock, prend moins la peine d’invoquer clairement le maître du suspens ; il s’en affranchit presque, se réfère parfois à lui-même dans ses motifs les plus emblématiques, et livre in fine une œuvre en demi-teintes qui laisse perplexe et hésitant.
Brian De Palma sur SEUIL CRITIQUE(S) : Snake eyes, Domino.