Le cinéma a eu, bien avant Psychose, son lot de films avec, comme figure centrale, un tueur psychopathe et charismatique entré depuis dans la légende du septième art (M le maudit, La nuit du chasseur, Le carrefour de la mort…). Mais aucun de ces films n’a eu, et même encore aujourd’hui, le retentissement émotionnel et l’influence graphique de Psychose. Cette résonance à travers le temps et les styles s’explique par la volonté d’Hitchcock de ne pas avoir porté toute l’attention du film sur les agissements de Norman Bates (le scénario est plutôt convenu), mais d’abord sur la construction impeccable (générale et interne aux plans) de son œuvre la plus célèbre et sur ses fortes inspirations psychanalytiques (culpabilité, sexe "sale", régression anale, Œdipe).
Hitchcock scinde son film en deux parties égales (égarant ainsi le spectateur sur plusieurs pistes de lecture) avec, chacune, un meurtre spectaculaire en point d’orgue, l’un sous une douche, l’autre dans un escalier. La première partie illustre la fuite indécise de Marion Crane, pécheresse cupide et voleuse, punie pour ses vices par un fou sous l’emprise posthume de sa mère ; la deuxième suit l’enquête de son amant et de sa soeur concernant sa soudaine disparition. Ses deux intrigues convergent quoi qu’il en soit vers l’emplacement névralgique du film : l’hôtel Bates et son effroyable secret. Hitchcock et son scénariste Joseph Stefano font disparaître la supposée héroïne de l’intrigue en milieu de film (et de façon violente), brisant subitement l’identification possible au personnage et l’atmosphère nonchalante et quasi muette des trois premiers quarts d’heure.
Cette cassure intervient lors de la scène pivot du film (le meurtre sous la douche) où la stridence des violons d’Herrmann symbolise les réels coups de couteaux qu’Hitchcock escamote adroitement tout en nous les faisant ressentir aussi intensément que possible. En symétrie parfaite de cette scène, la révélation finale venant clore le film (et la deuxième partie) procure elle aussi sa part de frissons avec la découverte terrifiante du cadavre empaillé de la mère de Bates. Chef-d’œuvre révolutionnaire toujours aussi impactant, maintes fois copié, jamais égalé, Psychose propose la traduction formelle d’une angoisse primale, inconsciente et collective, prenant racine au cœur d’un "mythe" typiquement américain aujourd’hui tristement banalisé, le serial killer.
Alfred Hitchcock sur SEUIL CRITIQUE(S) : Les oiseaux.
Pour ceux éventuellement intéressés, un montage parallèle de la séquence de la douche (version Hitchcock et Van Sant) est visible directement ici.