Après deux films-fleuves éblouissants (Boogie nights et Magnolia) parsemés de personnages déglingués, d’un destin qui s’emballe et, parfois même, qui vire au post-apocalyptique (le déluge de grenouilles dans Magnolia), et avant sa grande œuvre au noir que sera There will be blood, Paul Thomas Anderson signait, avec Punch-drunk love, son film sans doute le plus simple et le plus beau. Cette comédie romantique azimutée, associant joyeusement Blake Edwards à Jacques Tati, cache en vérité une élégie multicolore sur l’élan amoureux dans sa plus candide, dans sa plus pure expression (le travelling avant dans le couloir d’un hôtel, tandis que Barry et Lena se prennent timidement la main sans se regarder, est d’une grâce renversante).
Ces deux doux rêveurs solitaires ont à affronter un monde extérieur sans pitié, sans répit et sans cesse tyrannique (qu’incarnerait à lui seul le personnage de Philip Seymour Hoffman, génial en salopard fini). Leur histoire d’amour, de ses prémisses au premier baiser, est constamment empêchée par une série d’imprévus et d’accidents : sœurs envahissantes, voyous et arnaqueurs en tout genre, déboucheurs incassables qui se cassent… Pour Barry (Adam Sandler, transfiguré), difficile alors de se contenir. Difficile de s’émanciper, d’exister par rapport aux autres. Difficile de seulement dire, d’exprimer points de vue et sentiments quand on est un hurluberlu impulsif que l’on a décidé de malmener, capable de perdre la tête face à une baie vitrée, un harmonium mystérieux ou pour une femme au sourire lumineux (Emily Watson, resplendissante).
La mise en scène d’Anderson est faite de fulgurances et d’inventions dont on voudrait qu’elles ne s’arrêtent jamais (mise en scène très justement récompensée à Cannes). La photographie de Robert Elswit resplendit de mille éclats et de mille nuances, quand la musique déstructurée de Jon Brion, préfigurant celle de Jonny Greenwood dans There will be blood, explose l’intérieur des plans, dicte la cadence des mouvements, enveloppant d’une sorte d’irréalité rythmique les situations les plus convenues. Émouvant et fracassant, voire déconcertant, Punch-drunk love conte l’éveil d’un homme à la vie et à l’amour, et Anderson de faire d’un scénario minimaliste (un homme, une femme, une rencontre, what else?) un tintamarre conceptuel d’une poésie folle.
Paul Thomas Anderson sur SEUIL CRITIQUE(S) : There will be blood, The master, Inherent vice, Phantom thread, .