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Rabbit hole

Après les exaltations déculottées d’Hedwig and the angry inch et de Shortbus, John Cameron Mitchell revient filmer la vie, côté intime et drame feutré. Becca et Howie forment un couple brisé après la mort de leur enfant de quatre ans. Ils tentent, chacun à leur façon, de traverser l’épreuve du mieux qu’ils peuvent, d’être à nouveau, simplement, parmi un quotidien qui les rappelle, les ramène sans cesse à la tragédie et les confronte à une si cruelle absence (dessins sur le frigo, empreintes dans la maison, siège de bébé laissé à l’arrière de la voiture…). Avec un tel sujet, difficile de s’employer à une folie douce, à une énergie plus électrique.

Mitchell, en revers de ses deux premières œuvres frappadingues, revoit donc ses ambitions à la baisse et filme sereinement, sans débords, mais s’ingéniant, par moments, à apporter quelques touches de fantaisie à l’ensemble (la bande dessinée s’élaborant sous nos yeux, jolis cadrages, humour décalé parfois…), et s’effaçant finalement devant la performance de ses acteurs, Nicole Kidman et Aaron Eckhart, fébriles, émouvants, qu’il filme avec pas mal d’étoiles dans les yeux. On ne peut lui reprocher, évidemment, cette belle douceur qui baigne, imprègne entièrement le film parce qu’il évite ainsi, très bien, le mélodrame et le pathos éploré qu’un scénario pareil pouvait laisser supposer (vivre, endurer la mort de son propre enfant).

Pas de violons, peu de cris, peu de sanglots et peu de psychologie facile aussi : Rabbit hole joue davantage la carte des non-dits, celle des silences gênés, des fêlures muettes et d’une douleur comme apaisée, intérieure. Il en résulte une émotion constamment à fleur de peau, frémissante, brûlante, et qui finit par totalement bouleverser lors de plusieurs scènes magnifiques : Becca et Howie se déchirant à propos d’une vidéo effacée, Jason (Miles Teller, une vraie découverte), l’adolescent qui, involontairement, a renversé Danny, racontant le déroulement de l’accident à Becca (un chien qui traverse brusquement la route, la voiture qui braque, un petit garçon qui déboule…), la voix qui flanche, brisée par les tourments, par une souffrance qu’il devra, lui aussi, accepter et encaisser toute sa vie.

Meurtri par une perte incommensurable qu’il est difficile d’envisager ne serait-ce qu’une seule seconde, le couple middle class propre sur lui, établi, épanoui, cherche à resurgir d’une espèce de néant et se lance dans une lente reconstruction, confuse, qui va au-delà du désespoir et de la fatalité. Howie demeure dans le souvenir de son enfant, participe à des séances de thérapie de groupe, tandis que Becca se lie avec Jason, efface les traces trop évidentes de Danny, veut déménager.

Faire son deuil, retrouver une forme d’apaisement et de désir, mais sans jamais pouvoir oublier le terrible affront fait à l’existence, et quitte à faire semblant devant les autres, ce sont là les enjeux décisifs d’une œuvre fragile (mais assurée) rappelant quelques réussites majeures en la matière (De beaux lendemains d’Atom Egoyan, plus symbolique, La chambre du fils de Moretti, plus solaire, Le fils des frères Dardenne, plus âpre). Pudique et touchant, Rabbit hole se délie, s’expose à nous par infimes nuances, par infimes délicatesses, puis s’ouvre enfin à l’inconnu, au vaste abîme de la vie pleine de possibles renaissances, évidentes ou plus complexes.


John Cameron Mitchell sur SEUIL CRITIQUE(S) : Shortbus.

Rabbit hole
Tag(s) : #Films

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