Louer la suprématie suprême de Pixar en termes de films d’animation revient évidemment à enfoncer des centaines de portes ouvertes, sauf que, et ce Rango claudiquant démontre malheureusement la chose, cette suprématie devient plus évidente, plus éclatante encore quand on passe 1h40 comme on passerait 1h40 à observer de force un monochrome bleu de Klein, prostré là sans se bidonner ni s’extasier ni rêver encore, même cassé, ivre mort. Rango, esthétiquement et techniquement irréprochables, est pourtant beaucoup trop long, plusieurs scènes mangent correctement la poussière et, cherry on the cake of the cake, son humour est aussi stimulant qu’une séance de peeling à l’émeri.
Cette histoire sympathique d’un caméléon dégingandé et biscornu, rêvant d’aventures trépidantes et devenant sheriff (malgré lui) d’une petite ville en manque d’eau, avait un fort potentiel de futur classique ; dommage, on le rangera plutôt dans les machins-trucs anecdotiques à refiler à ses nièces et neveux pour avoir la paix un dimanche après-midi. Comme Aladdin avec Robin Williams, il semblerait presque que Rango se soit construit entièrement (seulement ?) autour des multiples facéties gutturales de Johnny Deep, et brodant autour de ça une vague intrigue (jamais pertinente, jamais intéressante) à base de mondialisation ultra-sauvage de l’eau censée surfer sur l’actualité et dénoncer nos gentilles sociétés méchamment capitalistes.
Au moins Deep s’en sort-il avec du brio plein la bouche, offrant au personnage de Rango une incarnation et une vocalisation absolument délicieuses. Difficile également de faire le rabat-joie devant quelques poursuites diablement excitantes (les deux avec le faucon, celle dans le canyon au son de La chevauchée des Walkyries et du Beau Danube bleu) et un rendu des matières, des textures et des couleurs atteignant, ici, un incroyable niveau d’excellence. Pour le reste en revanche, c’est pas jojo, et le film aurait mérité pas mal de minutes en moins en zappant de la scène qui sert vraiment à rien (celle dans les tunnels, celle du délire dans le désert…) pour pouvoir carburer à plein régime, ne pas s’empêtrer les pieds dans un scénario en mode raplapla et ne pas nous laisser le temps de bâiller, maugréer et médire ensuite.
En dépit d’un large éventail d’hommages pour faire plaisir à tout le monde (Eastwood, Leone, Django et tutti quanti), de clins d’œil à tout va, d’éloges, de références, de duels au soleil et de chevauchées super fantastiques, on en vient rapidement à compter le nombre de pixels par écaille entraperçue à l’écran pour éviter de piquer du nez, ou de baver/ronfler sur l’épaule de la personne à côté qui, elle, se mate Toy story 3 sur son iPhone. Ni chouette ni attachant, Rango a un rythme aussi tarabiscoté que l’allure générale de son lézard de héros (premières vingt minutes emballantes, puis milieu moyen, puis final raté), mais bon, c’est quand même plus agréable que cette pantalonnade de True grit.