Le chef-d’œuvre de Darren Aronofsky est là, imposant et magnifique, qui brutalise nos consciences comme un électrochoc consumant. C’est une plongée cauchemardesque, lente puis syncopée, dans l’abysse noir de la dépendance, débâcle obsédante vers les enfers de la déchéance et des désillusions. À chacun son rêve de gloire éphémère, à chacun son atroce agonie, insupportable et ravageuse. Au-delà du constat terrible d’un processus infernal d’accoutumance à diverses substances et espoirs (drogues, cachets, célébrité, argent…), le film parle avant tout des dérives chimériques et suicidaires d’une consécration obligée (imposée) par une société d’argent et de spectacle (le paraître avant l’être). Tout cela en filigrane d’un film qui s’exprimerait à la manière de ce que subissent ses protagonistes : ataraxies, ruptures, répétitions, flashs et affolements.
Aronofsky déploie tout un arsenal de créations et de corrélations visuelles (split screens, accélérations, hallucinations, gros plans en cascade de seringue, capsule, pilule et pupille) tendant à exprimer, au mieux, cet état fragmenté et ritualisé de sujétion à une drogue, qu’elle soit dure ou plus pernicieuse. Pour le spectateur, c’est un vrai choc esthétique qui tourne peu à peu au crescendo oppressant, au fracas émotionnel provoqué par l’accumulation de scènes de plus en plus difficiles. La fin du film (images et musique saccadées, stridentes et terrassantes) est comme un mauvais trip dont on voudrait qu’il se termine pour toujours ; apothéose de l’horreur et d’un gâchis pour rien, des vies brisées pour quelques miettes d’une splendeur factice, la détresse sans fin de personnages n’ambitionnant qu’à un bonheur simple, mais implacablement détruits par les solutions artificielles, trompeuses, qu’ils emploient pour y parvenir.
Darren Aronofsky sur SEUIL CRITIQUE(S) : The fountain, The wrestler, Black swan, Noé, Mother!, The whale.